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beaucoup d’autres, — qui trouvent dans la pompe des rites dans l’attrait des sacremens, dans le luxe souriant des images et des statues, une satisfaction religieuse assez intense pour que la via media, monotone comme tout ce qui est indéfiniment provisoire, leur apparaisse encore supportable. Ils savent, depuis dix ans, que le jugement de Rome sur l’invalidité des ordinations anglicanes est irrévocable ; ils savent, — pour reprendre les distinctions très fines que faisait jadis Manning, — que si l’Esprit-Saint peut agir dans l’Église anglicane, comme il peut agir en d’autres sectes dissidentes et partout d’ailleurs où il le veut, il n’agit point par l’Eglise anglicane ; ils savent enfin que, lors même qu’ils pourraient donner quelques assises et quelque consistance à cette via media sur laquelle ils s’attardent, ils n’y rencontreront jamais le Pape, si loin qu’ils la prolongent. Et peut-être temporisent-ils d’autant plus, qu’ils savent mieux tout cela. Rome, sans fièvre, les laisse s’approcher ou piétiner, avancer ou reculer ; elle n’est pas moins patiente que Newman, dont la plus chère devise était qu’il ne faut pas presser Dieu. Sans nulle jalousie, mais bien plutôt avec fierté, Rome se souvient qu’elle revêtit un jour de sa pourpre ce Newman qui avait présidé à la résurrection de l’Esprit de vie dans le système anglican ; et Rome peut se réjouir d’avoir attiré, d’avoir retenu et d’avoir satisfait cette âme ardente et difficile, qui eut à elle toute seule assez de vie pour ranimer successivement les deux Eglises de sa terre natale, l’anglicane et la catholique.

En 1899, étudiant, dans la revue des Jésuites anglais, les lettres spirituelles de Pusey, le P. Rickaby écrivait :


Le progrès de l’Église catholique ne consiste pas seulement dans l’accroissement du nombre de ses fidèles par les conversions. Que des hommes qui ne sont pas catholiques aient un sens profond de la présence et de la majesté de Dieu, qu’ils le prient continuellement, qu’ils craignent son éternelle colère, qu’ils tiennent fermement à l’enseignement dogmatique particulièrement sur la Trinité, l’Incarnation, la nécessité de la grâce, qu’ils soient anxieux de confesser leurs péchés aux ministres du Christ et d’en recevoir l’absolution, ’qu’ils aient un désir impatient de se nourrir de lachair du Christ présent dans l’Eucharistie, que des jeunes hommes fassent effort pour garder leur pureté, que des hommes dans l’aisance se donnent du mal pour faire des œuvres de miséricorde, tout cela est un gain pour le catholicisme, tout cela réjouit le cœur du Pape, tout cela prépare et laboure le champ[1].

  1. M. Henri Brémond, dans son étude déjà citée sur l’Évolution du clergé anglican (p. 5 et suiv.), montre d’une façon très intéressante comment le progrès des préoccupations ritualistes a conduit l’opinion anglaise à se faire du ministère sacerdotal une idée bien plus sévère, bien plus parfaite, bien plus haute qu’autrefois, et comment ainsi s’explique, en partie, la diminution croissante dans le recrutement du clergé anglican (dearth of candidates for holy orders). « Les vocations, dit-il, sont plus rares, précisément, parce qu’on reconnaît aujourd’hui plus que jamais la nécessité d’une vocation ; » et c’est ainsi qu’avec le temps l’un des effets de la renaissance catholique, qui implanta dans l’anglicanisme la notion de « vocation sacerdotale, » semble devoir être la diminution du nombre des candidats aux fonctions de clergyman.