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le Conseil privé de la Reine, dans son omnipotence laïque, acquittait les auteurs des Essays and Reviews et renvoyait indemne l’évêque Colenso. Manning alors de conclure :


Si l’Église d’Angleterre était l’Église de Dieu, les tribunaux ne pourraient lui faire aucun tort. C’est l’anglicanisme qui engendre les erreurs. Les tribunaux ne font que les légaliser. Le système anglican est la source de toutes les confusions que la loi ne fait que tolérer dédaigneusement. Personne ne cherche plus dans les évêques un juge dernier et suprême, investi d’un office surnaturel, ou l’organe d’une divine certitude en matière de doctrine ou de foi. L’alternative, devant la génération présente, n’est plus entre l’anglo-catholicisme ou le catholicisme romain ; elle est entre le rationalisme et le christianisme, c’est-à-dire entre le rationalisme et Rome.


Tandis que six cents consciences anglaises, bon an mal an, tranchaient l’alternative en passant à l’Église de Rome, le scandale même que provoquaient, dans les fractions croyantes de l’Église anglicane, les verdicts du Conseil privé, accélérait les progrès du ritualisme. On affectait d’emprunter à Rome, avec je ne sais quoi de provocateur, tous les signes extérieurs de cette foi à laquelle le Conseil privé faisait affront. Le ritualisme avait dès lors l’ardeur et l’acharnement de véritables représailles. Des martyrs lui manquaient, tout au moins des confesseurs : on les lui procura. Les années 1873 à 1892 furent remplies par une suite de persécutions contre des prêtres ritualistes : l’amende, la prison, étaient le châtiment. Tait, archevêque de Cantorbery, avait proposé au Parlement l’établissement d’une juridiction spéciale pour réprimer les irrégularités rituelles : le Parlement avait acquiescé en donnant à cette juridiction, contrairement au projet de Tait, un caractère laïque. Un juge laïque unique pour toute l’Angleterre devait en première instance frapper les ritualistes ; leur appel viendrait devant le Conseil privé, composé aussi de laïques. Les inculpés ritualistes furent nombreux ; les condamnations dont ils furent l’objet donnèrent à leurs initiatives beaucoup de notoriété et un peu de popularité. « Votre meilleur moyen d’avoir la paix, écrivait à Tait, dès 1878, le doyen Lake, est d’accepter le ritualisme : c’est de ce côté-là que souffle l’esprit religieux de notre époque[1]. » Depuis 1892, grâce à l’archevêque Benson, on n’essaya plus d’insurger la loi contre l’esprit, et les vexations prirent fin ; mais le péril ritualiste

  1. Bermond, l’Evolution du clergé anglican, p. 20 (Paris, Bloud, 1906).