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apostolique, dont les « tractariens » se firent aussitôt une arme contre l’asservissante conception de l’Eglise d’Etat. L’hégémonie du pouvoir civil sur l’Église venait précisément d’être aggravée : en 1832, la cour des Délégués, composée en partie d’ecclésiastiques, et chargée par la Couronne du jugement de certaines causes spirituelles, avait été dépossédée de cette juridiction au profit du « comité judiciaire du Conseil privé de la Reine, » corps exclusivement laïque et politique ; l’autorité souveraine des laïques sur les ressorts les plus délicats du mécanisme anglican était désormais scellée. Mais la sainteté libère les âmes ; et dans l’antique université d’Oxford, où les hommes mûrs et les vieillards se contentaient d’un christianisme superficiel, quelques jeunes tutors, Newman, Froude, Robert Wilberforce, exerçant leur fonction comme une sorte d’apostolat pastoral, avaient développé chez un certain nombre d’étudians le désir d’être des saints. Une partie de la jeunesse universitaire saluait dans les tracts successifs de Newman une révélation et une protestation, révélation d’un christianisme oublié, protestation contre l’encombrante médiocrité de ce tuteur qu’était l’Etat.

C’est le propre de la lutte d’accentuer les contrastes : une fatalité naturelle contraignait l’Etat anglais à descendre de plus en plus irrésistiblement la pente où les « tractariens » déploraient qu’il s’engageât. Alors les tracts se multipliaient, alors grossissaient leurs formats : après Newman, c’était Pusey qui prenait la plume et la parole, et l’enthousiasme suscité par ses dissertations théologiques soulevait les consciences contre l’État, qui trouvait, dans ses sermons, matière à douloureuses chicanes. Les âmes priaient, méditaient et souffraient : avec angoisse, elles regardaient Newman, qui les dépassait toutes par la profondeur de ses méditations et par l’âpreté de ses souffrances. Les démarches successives par lesquelles Newman, tantôt à contrecœur, et tantôt à son insu, semblait s’arracher de l’Eglise anglicane, sanctionnaient en lui, — ses proches le savaient, — les mystérieux progrès d’une vie intérieure qui réglait son rythme sur le vouloir de Dieu. L’histoire des déchiremens religieux de ce grand homme est comme scandée, sans doute, par une série d’épisodes où l’esprit vexatoire de l’État multiplie les provocations à l’adresse des âmes croyantes ; mais, qu’on y prenne garde, chacun de ces épisodes succède à un acte de vie intérieure, qui préparait d’avance Newman à s’élever plus haut. La mesure par