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qui devait être dit, s’il n’avait pas, auparavant, salué dans ce cardinal de l’Église romaine « le fondateur de l’Eglise anglicane dans son état actuel : » Manning avait raison : l’esprit de Newman, puissant dans l’Église où il était entré, était demeuré puissant dans l’Eglise qu’il avait quittée.

Ce qu’était l’anglicanisme avant Newman, nul ne l’a dit avec plus de vigueur, ni plus de franchise, que Gladstone lui-même, haranguant en 1874 la Chambre des communes :


Je ne sais, expliquait-il, si la chrétienté offrit jamais le spectacle de communautés de chrétiens plus froides, plus dénuées de dévotion et de respect religieux. Nos églises et notre culte n’attestaient que trop une indifférence glaciale… Nos offices étaient probablement sans pendant dans le monde par leur vulgarité. Ils auraient choqué un brahmane ou un bouddhiste, et ils n’eussent certes pas été supportés en Angleterre, si le goût et la perception de l’idéal n’avaient été engloutis dans le même naufrage que la dévotion… L’état des choses était déplorable, au-delà de ce que j’ai jamais lu ou vu… C’était le scandale de la chrétienté.


Scandale peut-être ; mais les clergymen, tels que nous les portraiture Manning, auraient été fort surpris d’un pareil mot. « Mondains, pédans, sans vie spirituelle et vivant à l’aise, » ils se drapaient dans une respectabilité confortable et conventionnelle et géraient froidement, en préfets corrects, l’établissement religieux auquel l’Etat les avait préposés.

Il suffit de quelques âmes pieuses, Keble, Pusey, Froude, Newman, pour faire s’engouffrer dans cette bâtisse le souffle subversif de l’Esprit. Le mouvement « tractarien » fut, à l’origine, un soubresaut de l’ascétisme chrétien, assoiffé des anciennes sources de vie. Entre les âmes en détresse et les sources délaissées, l’Etat faisait barrière : gardien jaloux des Trente-Neuf Articles, il les interprétait sévèrement, et interdisait aux consciences serves un certain nombre des moyens de salut que leur proposait la « superstition romaine. » C’est ainsi que l’Etat contraignait à des allures d’insurgé l’ascétisme « tractarien, » et la piété réveillée fut tout de suite en lutte avec l’autorité légale qui gouvernait l’Eglise, Le discours de Keble sur l’« apostasie nationale, » qui dans l’année 1833 donna le branle au mouvement « tractarien, » fut provoqué par le bill qui supprimait une partie des évêchés anglicans de l’Irlande ; le premier tract publié par Newman remit en honneur la doctrine de la succession