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complet[1], nous fait assister au travail intérieur de quelques Ames et à la répercussion de ce travail sur l’orientation religieuse d’un peuple. Au point de départ, il y a du mystère, le mystère de grâces et d’inconscience qui préside, dans la pénombre des êtres humains, à la lente éclosion des décisions vitales. Le respect avec lequel M. Thureau-Dangin aborde ces sphères, et la piété avec laquelle il s’y attarde, contribuent à faire de cette œuvre d’histoire un très beau document de psychologie religieuse ; il se joue, sans jamais se perdre, à travers les méandres les plus furtifs des évolutions intimes ; il en saisit avec sûreté les nuances subtiles.

Peu d’études sont plus riches et d’une variété plus attirante que celles qui s’attachent à un certain nombre de convertis et au caractère personnel que prennent, en chacun d’eux, les motifs de conversion. Le vieux proverbe : « Tous les chemins mènent à Rome » se recommande à la méditation des apologistes ; au-delà de l’homme abstrait, schématique, si nous osons dire, que visent les schémas classiques des démonstrations courantes, il y a, — c’est l’honneur de Newman de l’avoir discerné, — des hommes concrets, qui se laissent fasciner par tel ou tel aspect et par telle ou telle parcelle de la vérité intégrale, et qui, sous l’impression de cet éblouissement, se tracent eux-mêmes leur route vers cette vérité : route imprévue, semée d’inquiétantes surprises, et bordée même parfois de fossés suspects ; mais telle quelle, du moment qu’elle mène à Rome, n’a-t-elle pas fait son office de route ? C’est ainsi que toute page d’histoire dans laquelle on surprend des unies voyageuses en marche vers l’horizon romain glorifie l’infinie diversité des sollicitations divines. A côté de l’Apologia de Newman, à côté de sa Grammaire de l’Assentiment, on devra lire, désormais, JM. Paul Thureau-Dangin : son récit est comme une illustration de ces deux chefs-d’œuvre, dans lesquels Newman exposa ses raisons personnelles d’« assentiment » et nota subtilement, pour les philosophes futurs, les frémissemens de l’âme « assentante[2]. »

  1. La Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, par M. Thureau Dangin, 3 vol. in-8. Plon, 1899-1906.
  2. On sait combien s’est développée, dans ces dernières années, la littérature nemmanienne. M. Henri Brémond, qui a pour Newman de respectueuses familiarités, vient de lui consacrer, à la librairie Bloud, une biographie psychologique très curieuse qu’il faut bien se garder, dès qu’on la commence, de ne point lire jusqu’au bout ; en s’arrêtant à mi-chemin, l’admiration pour le grand homme courait risque d’être troublée ; mais, si l’on poursuit en toute confiance, on constate que Newman, observé à la loupe comme un Sainte-Beuve eût aimé à le faire, résiste à cette épreuve et n’en sort nullement diminué. Le même librairie Bloud vient de s’attacher à faire connaître l’œuvre entière de Newman par trois volumes de la collection de la Pensée chrétienne, dont M. Henri Brémond a concerté l’ordonnance ; et juste au même instant, les plus belles pages de Newman sermonnaire rencontraient, dans la personne de M. Raymond Saleilles, à la librairie Lethielleux, un traducteur plein de sollicitude et de perspicacité.