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REVUES ÉTRANGÈRES

LES ILES DE LA LAGUNE DE VENISE


{{c|Le isole della Laguna Veneta, par P. Molmenti et D. Mantovani. — Un vol. in-8o, illustré ; Bergame, Institut d’art graphique.


Est-ce dans Hoffmann, ou dans Achim d’Arnim, que j’ai lu l’histoire, — parodiée ensuite par Henri Heine dans son Atta Troll, — d’une belle jeune femme qui chante, et qui danse, et qui ravit les cœurs, et qui cependant est morte depuis des années, cadavre que je ne sais quelle sorcière, chaque matin, se plaît à ranimer d’un semblant de vie ? Le fait est que cette histoire étrange m’est, invariablement, revenue en tête, toutes les fois qu’un heureux hasard m’a permis de demeurer quelque temps à Venise. Car tandis qu’un très grand nombre d’autres villes italiennes se sont humblement résignées à leur mort, et n’ont plus à nous offrir, désormais, que le spectacle de leurs cendres dans de magnifiques ou touchans tombeaux, celle-là, qui avait toujours été la plus vivante de toutes, n’a pas encore consenti à nous laisser voir qu’elle ne vivait plus. Semblable à la jeune femme du conteur allemand, par mille artifices magiques elle s’est ingéniée à colorer son teint, à dessiner sur ses lèvres un sourire joyeux, à effacer toute trace du fatal travail de destruction qui s’opérait en elle. Combien de ses églises, abattues par la main des hommes ou par celle de Dieu, se sont inespérément relevées de terre, de même que va bientôt s’en relever le clocher de Saint-Marc ! Combien de ses palais, que nous avons connus naguère dévastés, meurtris, à peu près informes, nous émerveillent aujourd’hui par la pure élégance de leur façade et de leurs