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l’approbation du public ; et il est hors de doute que le public au théâtre ne recherche que son plaisir. « Le public réclame de l’art dramatique l’émotion sous ses formes les plus diverses, comique, tragique, sentimentale, mais lui demande de moins en moins compte du comment et du pourquoi de cette émotion. Il dit à l’écrivain : « Je ne vous chicane plus sur le choix de votre sujet, ni sur le caractère et la condition sociale de vos personnages... Je n’exige qu’une chose, mais celle-là, je l’exige bien : intéressez moi, faites-moi pleurer, ou faites-moi rire. » Ce langage que M. Capus prête au public de son temps, est aussi bien le langage du public en tous les temps. Or il y a, pour l’intéresser, pour le faire pleurer ou pour le faire rire au théâtre, des moyens qu’enseigne l’expérience et dont l’ensemble constitue justement ce qu’on appelle « le théâtre. » Il y a au théâtre une vérité qui se passe de la vérité. Il y a une logique au théâtre qui est non pas celle de la vie, mais celle de la scène, non pas celle des caractères, mais celle des rôles, et non pas celle des situations mais celle des planches. La réalité de théâtre n’est qu’illusion, l’histoire de théâtre n’est que convention, la morale de théâtre n’est que duperie. On cite des pièces où il n’y avait ni observation, ni analyse, ni idées, ni esprit, ni style, et qui ont réussi : il y avait quelque chose en elles qui les a portées, et qui était « du théâtre. »

Le tort de Sarcey, qui, dans cette expression, découvrait tant de merveilles, fut de ne pas voir qu’employée sans correctif, elle est non pas un éloge, mais la pire condamnation d’un ouvrage. Il professait que le théâtre, comme les autres arts, n’est qu’une grande et magnifique tromperie et que le secret y consiste à « mettre dedans son monde. » Larroumet qui cite cette opinion de « son maître » y répond dans une de ses meilleures pages : « Si le théâtre a le plaisir pour but, s’ensuit-il que le plaisir le plus complet qu’il puisse donner consiste dans l’illusion de la vraisemblance et dans une surprise. d’émotion qui cesse dès que la réflexion se met de la partie ? En ce cas, le théâtre n’existerait pas comme genre littéraire... » Aussi le rôle de la critique consiste-t-il à détourner sans cesse l’écrivain de théâtre de considérer le théâtre comme un art qui se suffise à lui-même et qui, par la perfection de sa technique, réalise tout son objet. Son effort constant est de le ramener vers la réalité de la vie et la vérité du cœur, de le contraindre à mettre la logique du théâtre en accord avec la logique, et de lui persuader que les plus beaux effets de théâtre, s’ils ne correspondent à rien d’humain, ne sont que les vaines réussites d’un jeu puéril.