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le courant, lent et bas, suffit à peine à remplir son lit. Comment résoudre cette difficulté ?

Par un travail colossal et sans précédent : un barrage jeté d’une rive du Nil à l’autre et pouvant refouler l’eau jusqu’à la dernière goutte dans les canaux établis en amont. On devait ainsi élever le niveau du fleuve au point voulu pour arroser en toutes saisons les terres les plus hautes. Cette idée, exprimée par Bonaparte en termes saisissans, donnait la solution du problème de l’irrigation pérenne. Préparée par des travaux du même genre établis sur les principaux canaux, elle fut en partie réalisée, de 1842 à 1863, par Mougel bey, ingénieur français au service du vice-roi. Il ne pouvait y avoir d’hésitation sur la partie du fleuve destinée à servir d’assiette au barrage. Ce devait être le lieu indiqué par Bonaparte, le sommet du Delta, bifurcation des branches de Rosette et de Damiette : « Un travail que l’on entreprendra un jour, avait dit Bonaparte, sera d’établir des digues qui barrent les branches du Nil au Ventre de la Vache, ce qui, moyennant des batardeaux, permettra de laisser passer successivement toutes les eaux du Nil dans l’Est et dans l’Ouest et, dès lors, de doubler l’inondation. » C’est donc là, dans un site verdoyant et fleuri, que fut édifié, sur 130 arches armées de portes, cet ouvrage long de près de deux kilomètres qui commande cinq grands canaux sans compter les deux bras du Nil. Pressée par l’impatience de Méhémet Ali, l’exécution en avait été sommaire et incomplète ; aussi le résultat fut-il presque dérisoire : un relèvement utile maximum de cinquante centimètres seulement au lieu des quatre mètres cinquante en vue desquels le barrage avait été conçu ! Mais les piles, hâtivement placées sur un fond instable, ne pouvaient supporter une pression plus forte.

Telles étaient les grandes lignes du plan des irrigations. En 1882, au moment où le contrôle anglais fut établi en Égypte, ce service fonctionnait, somme toute, mal, et cela en raison même des perfectionnemens qu’y avaient introduits les khédives. Le système de l’inondation présente un double avantage : grande simplicité d’application et d’entretien, conservation indéfinie de la fertilité du sol. Resté en vigueur dans la moitié du pays, il avait été remplacé en Basse-Égypte par le système plus savant et partant plus compliqué, de l’irrigation pérenne qui absorbait presque entièrement l’attention et les ressources du gouvernement. Le ministère des Travaux publics, préoccupé de développer