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l’heure de cette visite, quand il se sentira intérieurement étreint par certains bras de la divine sagesse, et, par suite, la suavité du saint amour sera versée dans son cœur[1]. »

« Quand l’épouse, nous dit Tauler, a tout abandonné et est devenue pure et parfaitement aimable, Dieu verse sur elle les torrens de l’amour divin... tellement que l’épouse, enivrée d’amour, se perd et s’oublie, et toutes les créatures[2]. »

« L’amour m’a mis dans le feu, « dit saint François d’Assise, « je brûle d’amour. Lorsque je commençai à aimer l’époux de mon âme, il avait la douceur de l’agneau, mais depuis il m’a percé le cœur d’un fer aigu qu’il a enfoncé profondément[3]. »

Le feu de l’amour, le cœur percé, le trait de fer ! Que ne dirait-on pas si l’on rencontrait toutes ces métaphores sous la plume d’une femme mystique !

Il convient d’ajouter avec M, de Montmorand[4] que le catholicisme avait, dès le IIIe siècle, donné aux mystiques le modèle de leur langage amoureux en présentant le Cantique des Cantiques comme un dialogue de l’Église avec son époux divin. Si l’Église elle-même a pu dire : « Que mon bien-aimé me baise du baiser de sa bouche, » et si Jésus a pu répondre : « Vos deux mamelles sont comme deux petits jumeaux de la chevrette qui paissent entre les lis, » sans que ces paroles désignent autre chose que l’union des âmes ou la fécondité de l’amour divin, les mystiques avaient le champ libre pour exprimer dans un langage sensuel des pensées qui n’étaient pas nécessairement sensuelles.

Plusieurs d’entre eux, saint Jean de la Croix, saint Bernard, sainte Thérèse, Mme Guyon ont commenté le Cantique des Cantiques ; tous l’ont plus ou moins imité ou paraphrasé dans leurs effusions, de telle sorte, qu’avec la part du langage métaphorique de l’amour, on doit faire aussi la part d’un langage convenu qui s’inspirait aux mêmes sources.

Par tradition comme par nécessité, les mystiques ont parlé à leur Dieu le langage amoureux des hommes, et c’est commettre à la fois une injustice et une erreur que d’abuser de ce langage pour assimiler brutalement à l’amour sensuel les sentimens qu’ils éprouvent.

  1. Saint Bernard, Sermon 32, N° 2.
  2. Tauler, 1er sermon après sa conversion.
  3. Saint François d’Assise, le Cantique de l’Amour.
  4. Revue Philosophique, octobre 1903, p. 391.