nous avons expliqué dernièrement ici[1], à propos de l’incident de Tabah, comment les élémens d’une question arabe paraissent se dégager des profondeurs, jusqu’ici mal connues, de l’Asie occidentale. Une nationalité qui se cherche finit toujours par se trouver et par naître à la vie en se différenciant de ses voisines.
Le Sultan, son gouvernement et ses Turcs, d’une part, et, de l’autre, l’effort continu, mais, selon les momens, plus ou moins intense, des populations sujettes, pour se soustraire à l’autorité ottomane, voilà les deux premiers élémens de la question orientale. Entre eux le rapport est simple ; mais voici le troisième terme qui introduit dans l’équation un élément de variation et d’incertitude : c’est l’intervention des grandes puissances européennes. On peut dire, d’une façon générale et l’histoire en main, que les grandes crises de la question d’Orient se produisent chaque fois qu’aux élémens permanens de trouble et d’agitation que renferme l’Empire ottoman, vient s’ajouter, pour les surexciter et les diriger, l’intérêt d’une ou de plusieurs puissances européennes. Aujourd’hui surtout que, dans l’Europe occidentale, la forte constitution des nationalités s’oppose aux vastes entreprises, c’est vers l’Orient, où la pâte est encore malléable et les frontières mal déterminées, où la péninsule des Balkans et surtout l’Asie turque offrent un champ tout neuf d’expansion économique et d’influence politique, que les grandes puissances portent leurs ambitions et leurs rivalités. Enfin l’Empire ottoman est souverain légitime de quelques-uns de ces points stratégiques qui commandent les grandes routes du globe, et dont la possession est la condition de toute domination maritime et de toute hégémonie mondiale : le Bosphore, les Dardanelles, Suez. Toutes les routes de l’Inde passent dans les eaux ou sur le territoire de l’Empire ottoman. Aussi, depuis plus d’un siècle, toutes les grandes alliances ou ententes européennes ont-elles pivoté autour de la question d’Orient ; elles se sont presque toujours conclues ou rompues à propos d’elle, et c’est en connexité avec elle qu’il convient de les étudier si l’on veut en bien comprendre les tendances et le but. Sans doute, d’autres élémens sont entrés en ligne de compte ; mais être d’accord sur la politique à suivre vis-à-vis de l’Empire ottoman a toujours été la condition nécessaire
- ↑ Voyez la Revue du 1er juillet 1906.