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nera ni par l’extermination de celle-ci, ni par l’anéantissement de celui-là. Et assurément, comme nous sommes des êtres bornés qui durons moins que nos institutions, nous ne serions pas fâchés de vivre dans les intervalles de paix ! Nous aimerions aussi que notre avenir, l’avenir des nôtres, celui de la patrie, s’éclairât à nos yeux d’une lumière précise et certaine. Mais si la Providence ne l’a pas permis, ce n’est pas un motif de se décourager. L’Église invoque pour elle les promesses d’éternité qu’elle tient de son fondateur : quand même elle ne les aurait pas et en restant placés au point de vue humain, nos raisons de croire à la perpétuité de ce qu’elle représente se tireraient encore des leçons de l’histoire, du besoin que nous avons de l’idée religieuse pour vivre et de notre confiance dans l’avenir de l’humanité.


Nous ne voulons pas abandonner la plume sans exprimer toute l’indignation que nous cause l’effroyable tentative d’assassinat dont M. Stolypine a failli être victime, et qui en a fait un si grand nombre autour de lui, jusque parmi les êtres qui lui étaient le plus chers. Il n’y a pas d’excuses pour un tel crime : rien ne saurait en atténuer l’horreur. On est surpris que les nihilistes et les révolutionnaires russes puissent encore, après tant d’expériences qui en ont démontré l’inefficacité, croire que d’aussi odieux moyens puissent servir leur cause. Mais quand bien même ils la serviraient autant qu’ils la compromettent, il faudrait encore les condamner et flétrir ceux qui y ont recours. Cette « pitié humaine » dont un écrivain russe a voulu faire une religion nouvelle, et qui est d’ailleurs vieille comme le monde, se soulève avec un mélange de réprobation et de douleur en présence de tant de barbarie. Il est à craindre que le progrès de la Liberté, loin d’en être hâté en Russie, n’en soit retardé, peut-être pour longtemps ; et, s’il en était ainsi, ce que nous sommes bien loin de souhaiter, le gouvernement impérial ne serait pas sans excusas. M. Stolypine a pu commettre des fautes, mais c’est un homme de bonne volonté. Il avait déjà l’estime, il a maintenant la sympathie émue et profonde de l’univers civilisé. C’est tout le résultat qu’ont atteint les auteurs de ce monstrueux attentat.

Francis Charmes.


Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.