Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demander prématurément. Les esprits sont encore trop échauffés pour qu’il soit utile de discuter tous ces points, dont quelques-uns sont fort délicats. Il n’en résulterait qu’un surcroît d’irritation. Attendons des temps plus calmes. Nous n’avons voulu pour aujourd’hui qu’exprimer des réserves sur ce qu’on aperçoit un peu confusément dans l’Encyclique, et trop clairement dans les commentaires qu’on en a quelquefois tirés.

Si d’ailleurs nous voulions justifier autrement que par l’inéluctable nécessité des choses l’espoir d’une entente future entre l’Église et l’État, nous invoquerions l’espèce de désarroi dont le clan politique auquel le gouvernement se rattache et le gouvernement lui-même ont donné le spectacle après la publication de l’Encyclique. Malgré les bruits qui couraient depuis quelques jours, on ne s’attendait pas à la décision à laquelle s’est arrêté le Saint-Père. Sûrement on ne l’avait pas prévue lorsqu’on a fait la loi de séparation ; et, à supposer que quelques craintes aient subsisté à ce sujet, la délibération de l’épiscopat les avait dissipées. On ne croyait pas que le Saint-Père, après avoir consulté les évêques, passerait outre aux propositions qu’ils avaient énoncées. Sans doute, on le savait bien, il restait libre de ses résolutions finales, et, quelles qu’elles fussent, on savait bien aussi que les catholiques s’y conformeraient. Qui donc oserait, en pleine bataille, discuter les ordres du chef ? On s’y soumet, on les exécute quels qu’ils soient ; et on suit en cela un sentiment qui n’est pas moins juste au point de vue humain qu’au point de vue chrétien. Quels que puissent être, en effet, les inconvéniens de l’obéissance passive, ceux de l’indiscipline seraient encore pires. Au surplus, il y avait là pour les catholiques un de ces devoirs de conscience avec lesquels on ne délibère même pas. Le gouvernement et ses amis ne l’ignoraient point ; mais ils pensaient que le Pape céderait. Ils mettaient même quelque affectation dans leur sécurité : toutefois elle était sincère, et lorsqu’ils disaient très haut qu’ils appliqueraient la loi sans y changer un point ni une virgule, ils espéraient bien que, du côté du clergé, on leur en fournirait bénévolement le moyen. L’invraisemblable peut arriver ; il ne faut pas lui jeter de défi. L’Encyclique a été pour le monde officiel une terrible déconvenue en même temps qu’une surprise. C’est au point qu’au prender abord M. Briand n’a pas pu en croire ses yeux. Pris à l’improviste dans une gare de chemin de fer par un reporter, qui lui demandait si c’était bien la résistance que le Pape préconisait : « Heu ! a-t-il répondu, la résistance, le mot est bien gros. Je vois, en effet, dans ce