Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissons pas assez en France, — là même, dans, leur cosmopolitisme, qu’on pourrait appeler leur humanisme, au sens étymologique du mot, là est l’explication et la raison de l’universalité de leur influence au xvie siècle : Sénèque, par exemple, n’a pas exercé moins d’influence sur la première formation du théâtre anglais que sur la formation du nôtre.

On ne saura pas moins de gré à M. de Zangroniz d’avoir voulu suivre, sinon d’année en année, du moins d’édition en édition, c’est-à-dire de 1580 à 1588, et de 1588 à 1592, le progrès des lectures de Montaigne. Cela lui a permis de rectifier quelques erreurs des historiens de Montaigne, de préciser la nature de ses procédés de composition, et même de pénétrer un peu plus avant dans son intimité. Par exemple, Montaigne écrit quelque part, au chapitre viii de son livre III : « Je viens de courre d’un fil l’histoire de Tacitus, — ce qui ne m’advient guère, il y a vingt ans que je n’ai mis en livre une heure de suite, — et l’ai fait à la suasion d’un gentilhomme que la France estime beaucoup ; » et on aimerait qu’il eût nommé ce « gentilhomme. » Mais on a conclu de cette phrase qu’en 1580, c’est-à-dire à l’époque de la première édition de son livre, Montaigne n’avait pas encore « découvert » ou « retrouvé » Tacitus. M. de Zangroniz n’a pas eu de peine à montrer que l’on se trompait, et il n’a eu pour cela qu’à rappeler les nombreux passages de l’édition de 1580 où Tacitus est cité et nommé. Nous admettrons sans difficulté que Montaigne a lu plusieurs fois Tacitus. Autre exemple, pour appuyer et confirmer ce que nous avons dit des procédés de composition de Montaigne. En 1587, — nous le savons par une note de son propre exemplaire, qui nous est parvenu, — Montaigne lit Quinte-Curce : en conséquence, pn trouve donc, dans l’édition de 1588, une douzaine de citations de Quinte-Curce. Il n’y en avait pas une seule dans l’édition de 1580 ; il n’y en a pas une de plus dans l’édition de 1595. La conclusion est évidente ! C’est vraiment au hasard de ses lectures, dont on voit que le choix n’a ni méthode ni règle, que Montaigne enfle, pour ainsi parler, ses Essais, et selon qu’il y trouve la contradiction ou la confirmation de son expérience et de ses propres idées. Autre exemple encore, d’un autre genre. Les citations d’Hérodote, relativement rares en 1580, et même en 1588, deviennent plus nombreuses dans l’édition de 1595. Pourquoi cela ? M. de Zangroniz nous en donne la raison, que je crois excellente :