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et elle séduisit les expérimentateurs, parce que son second auteur avait particulièrement insisté sur les phénomènes de circulation et de vaso-motricité. On entreprit de la vérifier par tous les moyens possibles, depuis la vivisection jusqu’à la suggestion. On ne cesse pas depuis vingt ans et quelques médecins sont tombés dans le ridicule. Elle est encore à la mode, mais elle perd du terrain.

Si on la tient pour une simple description du mécanisme de l’émotion, analogue à celle que M. Ribot a donnée de l’attention, elle est en effet une précieuse contribution à l’étude de la sensibilité, où l’on n’avait point fait assez de place aux sensations « coenesthésiques, » lesquelles résultent précisément des modifications organiques. Mais si on prétend en faire une explication de la nature de l’émotion, cette explication ne devient-elle pas trop simpliste ? Dans, l’émotion, c’est entendu, il y a des troubles respiratoires, circulatoires, musculaires. Mais il y a aussi des troubles psychologiques proprement dits, des pertes de mémoire, des aphasies, des angoisses, des défaillances morales de toute sorte, et qui ne sont pas le seul retentissement des sensations organiques. Un timide rougit : est-ce pour cela qu’il ne trouve plus ses mots ? Un homme en colère rougit également : il parle avec volubilité. L’insuffisance de l’un, l’abondance de l’autre ont-elles la même cause superficielle ? De même l’attention comprend bien plus d’élémens que les phénomènes d’inhibition musculaire qui en composent l’attitude. Le sentiment de fatigue, après le travail, est autre chose que le besoin de se « dégourdir les jambes. »

D’une manière générale, toutes les recherches de cet ordre, — et elles sont innombrables, — reposent sur une analyse trop élémentaire. Ce n’est pas à dire qu’elles soient inutiles. Leur action, au contraire, a été bienfaisante et un résultat est acquis définitivement : il est impossible d’établir, par la seule conscience, qu’il y il entre les états de l’esprit « des uniformités.de succession, » parce que, dans ces successions, on ne parvient jamais à saisir tous les intermédiaires, qui sont des représentations inconscientes. Mais, instinctivement, on a conclu de là qu’il fallait réduire un phénomène inconscient à n’être qu’un phénomène physiologique. Ainsi la conscience n’a plus d’importance : elle est, elle pourrait ne pas être. Le mécanisme corporel étant donné, le résultat final resterait le même, avec ou sans