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en ses étranges vertiges, eût tourné pour tout le monde, mais non point pour eux, et comme s’ils eussent eu le droit de dire à la Révolution qui continuait : E pur non si muove.


III

Mais Consalvi n’était pas homme à s’arroger un pareil droit ; il avait un sens aigu des nouveautés politiques et sociales, une intelligence très sûre des changemens de l’esprit public ; il savait comprendre et faire comprendre à Rome que la terre avait tourné. Il y a une politique qui défie l’histoire, qui se met elle-même au ban des réalités, qui galvanise à peine ce qu’elle s’essaie à ressusciter, qui proteste contre la mort et ne parvient pas à créer la vie ; elle se croit victorieuse lorsqu’elle a souffleté ce qui la gêne, et elle ne soupçonne pas, elle n’entend pas murmurer, elle ne voit pas grossir, incoercible, la poussée des forces inconscientes, insaisissables mais actives, auxquelles appartient l’orientation du monde ; elle dédaigne deux grands facteurs de l’histoire, dont l’un s’appelle le mystère et l’autre le peuple, et s’imagine qu’en les dédaignant elle les supprime. Cette politique sera celle de la Sainte-Alliance ; elle sera celle de la bureaucratie autrichienne, beaucoup plus, quoi qu’on en ait dit, que celle de Metternich ; mais ce qui ressort avec une évidence aveuglante des publications récentes, c’est qu’elle ne fut jamais celle de Consalvi. Nous en avons pour preuve, avant toute autre, les vœux pressans que, de Vienne, il adressait à Pacca au sujet de l’administration des provinces pontificales, des réformes susceptibles d’y être introduites, et de l’indulgence, surtout, qui convenait au gouvernement restauré[1]. La maçonnerie italienne avait en Europe des émissaires, qui imputaient au gouvernement pontifical d’odieuses représailles[2]. L’écho de ces rumeurs inquiétait Consalvi. Rencontrant en 1814 l’ancien procureur général de Rome, Le Gonidec, il lui disait en ôtant sa calotte rouge : « Sous cette calotte, il y a des idées libérales[3] ; » et

  1. Rinieri, IV, p. 262-295.
  2. Ibid., IV, p. 256-261.
  3. Le mot est cité par M. Madelin, la Rome de Napoléon, p. 681, et c’est le cas de redire ici quel prix s’attache à son beau livre, où l’érudite accumulation des trouvailles d’archives n’alourdit jamais le captivant entrain du récit, et où se prolonge avec tant d’art la sensation constante de l’absence de Napoléon dans la Rome de Napoléon.