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peut-être n’ont-ils pas tort dans le fond : ils l’ont eu seulement dans la forme. Ce qui est surprenant, c’est que nos socialistes aient vu en tout cela des symptômes de généreuses aspirations politiques. Il n’y en a nullement dans l’armée et rien n’est plus heureux. Quoi de pire, en effet, dans toute l’histoire du monde que les révolutions faites par l’armée, qu’elles viennent, en bas, de la soldatesque, ou, un peu plus haut, des états-majors ? La politique de caserne est la plus dépourvue de mobiles désintéressés. A quelque point de vue qu’on se place, le succès des insurrections militaires aurait été pour la Russie le plus déplorable en même temps que le plus humiliant des désastres.

L’impuissance dont le parti révolutionnaire a fait preuve devrait encourager les modérés, les libéraux, les cadets, à se séparer de lui très nettement. Le feront-ils ? Nous n’oserions le dire. Les cadets étaient le groupe le plus nombreux de la Douma, mais ils ne représentaient pas la majorité du pays. Si le gouvernement s’était appuyé sur eux et les avait appuyés eux-mêmes, ils auraient pris de la consistance et rendu des services. Mais on s’est appliqué à les déconsidérer. La conséquence est que, pour le moment, les partis extrêmes sont seuls en présence en Russie : le parti intermédiaire, affaibli, est naturellement amené à chercher des alliances et il risque fort de ne trouver que des compromissions. Quant au gouvernement, comment sortira-t-il de l’impasse ? Nous n’en savons rien : sans doute il ne le sait pas lui-même, car toute sa conduite est marquée au coin de la plus parfaite imprévoyance. Après avoir réuni la Douma sans avoir arrêté un programme à lui soumettre, il l’a dissoute sans avoir davantage rien arrêté de ce qu’il ferait le lendemain. Il a prévu, à la vérité, que des troubles pourraient éclater à Saint-Pétersbourg, à Moscou, et sur d’autres points du territoire où il a accumulé des troupes. C’était bien, ce n’était pas assez. La sécurité matérielle n’était pas la seule qu’on dût assurer ; il fallait encore donner une certaine direction et certaines satisfactions aux esprits. L’a-t-on fait ? Non, et comment aurait-on pu le faire ? Il aurait fallu avoir un gouvernement et il n’y en a pas. Il n’y a qu’un ministre, M. Stolypine, dont on dit beaucoup de bien, mais qui cherche des collègues et n’en a pas encore trouvé en dehors de la bureaucratie. Quand la Douma a été dissoute, tout le monde a cru qu’il y avait dans la coulisse, prêt à en sortir, un gouvernement qui donnerait aux affaires une allure ferme et hardie. On l’attend toujours. Le manifeste impérial a fait le procès de la Douma défunte. Soit : il fallait bien justifier l’acte accompli. Mais il aurait fallu aussi frapper les imaginations par l’annonce d’autre chose. On