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en détail : tous les journaux l’ont fait. Il y a eu, on le sait, sur plusieurs points du golfe de Finlande des insurrections militaires qui ont menacé Saint-Pétersbourg, et même Peterhof. Quand la nouvelle s’en est répandue dans l’Europe occidentale, l’inquiétude a été d’abord assez vive. Il était impossible de se rendre compte à distance de la gravité que pouvait avoir cette explosion soudaine de mécontentement militaire ; on ne savait pas dans quelle mesure le reste de l’armée resterait fidèle ; on se demandait enfin ce qui allait arriver. Le bruit courait que la révolte avait été préparée de longue main par le parti révolutionnaire ; qu’elle avait des ramifications puissantes ; que ce n’était pas sans dessein qu’elle éclatait à proximité du siège du gouvernement et de la demeure impériale, et qu’elle gagnerait bientôt de proche en proche le pays tout entier. Nous en avons douté. Si le gouvernement sait mal s’organiser en Russie, l’opposition révolutionnaire n’est pas plus habile : elle s’enlize également dans l’anarchie. Un ne l’a pas encore vue dessiner un grand mouvement d’ensemble, ni donner un mot d’ordre universellement suivi. La grève générale devait suivre ou accompagner la révolte militaire. La révolte militaire, mal combinée et mal exécutée, n’a pas tardé à échouer. Quant à la grève générale, on en a vaguement entendu parler, mais elle n’a même pas eu un commencement d’exécution. L’échec a été complet, et les amis éclairés de la Russie s’en sont réjouis, car ce n’est pas de la révolution violente et brutale qu’ils attendent sa régénération.

Chez nous, la plus grande partie de la presse a partagé à cet égard les mêmes impressions et les a exprimées avec mesure ; seuls, quelques journaux socialistes ont formé des vœux bruyans pour le succès des insurrections militaires dans lesquelles ils affectaient de voir des tentatives d’émancipation politique. Il est difficile de pousser plus loin l’aveuglement I La bonne fortune de la Russie, — ce qui lui en reste, — a voulu que jusqu’ici aucun officier d’un grade élevé ne se soit mis à la tête d’un mouvement insurrectionnel quelconque. Tous ceux qui, dans l’armée, exercent un commandement sont restés disciplinés et fidèles, et quelques-uns d’entre eux ont payé cette fidélité de leur vie avec un héroïsme parfois très touchant. Les soldats seuls se sont révoltés, et cela pour des motifs qui tenaient aux conditions de leur existence matérielle : ils en demandaient impérieusement l’amélioration. La liberté politique leur est aussi indifférente qu’aux paysans dont toute la pensée est enfermée dans les limites de la question agraire. Les paysans demandent de la terre, en quoi ils ont d’ailleurs raison ; les soldats demandent un meilleur ordinaire, et