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dans quelques autres pays : en Russie, il est, qu’on nous passe le mot, innocent comme l’enfant qui vient de naître et qui d’ailleurs est mort en naissant. C’est en dehors de lui qu’il faut chercher et qu’on trouvera la cause de l’état actuel de misère où se débat ce grand et noble pays. Et, cette fois encore, il est fâcheux qu’il en soit ainsi, car, si la Douma était seule coupable, on pourrait espérer que sa disparition arrangera tout. Mais y a-t-il un homme, en Russie ou ailleurs, qui ait une pareille illusion ? Il s’en faut de beaucoup que la situation soit améliorée par la dissolution de l’Assemblée. Ce que les plus optimistes peuvent en dire de mieux est qu’elle reste la même. Les motifs qui ont amené le gouvernement autocrate à s’associer les représentans de la nation dans une œuvre qui ne saurait être seulement législative, et qui doit s’étendre peu à peu à d’autres manifestations de la vie politique, ces motifs persistent tous ; ils ne sont nullement affaiblis ; on serait même tenté de croire qu’ils ont pris plus de force depuis les derniers incidens. Voilà pourquoi la Douma reviendra. On s’apercevra que, si la vie est difficile avec elle, elle l’est encore plus sans elle. Souhaitons toutefois que les anciens députés, rentrés dans leurs foyers et livrés à leurs réflexions solitaires, reconnaissent au fond de l’âme qu’ils ont plus d’une fois dépassé la mesure ; qu’ils ne sont pas les seuls représentans du peuple ; qu’il y a, dans la plupart des pays d’Europe, d’autres pouvoirs que les pouvoirs élus, et de non moins légitimes ; qu’aucune révolution n’est assez puissante pour supprimer d’un seul coup l’héritage historique d’une vieille nation ; enfin que le progrès n’est durable que s’il est l’œuvre du temps.

Nous avons déjà dit que les membres de la Douma ont quelque peu perdu la tête le lendemain de la dissolution. Prendre Viborg pour une sorte de Mont Sinaï d’où l’on pouvait lancer sur le pays la foudre et les éclairs a été une erreur, une faute, et, pourquoi ne pas le dire ? une sottise. Il est regrettable que les cadets n’aient pas cru pouvoir faire autrement que de s’associer à cette manifestation impuissante, et heureusement-impuissante, car elle aurait été malfaisante si elle avait réussi. Comment prendre au sérieux cette Convention de Viborg, qui ne se composait même pas de la majorité de la Douma, et qui a dû délibérer et voter à la hâte, la police l’ayant avisée qu’elle ne lui accorderait que quelques heures de répit ? Le manifeste sorti de ce tronçon d’assemblée s’est perdu dans le vide, bien qu’on ait fait et qu’on fasse encore les plus grands efforts pour le répandre à foison dans toute la Russie : on n’en a pas senti l’influence dans les événemens ultérieurs. Ces événemens sont trop connus pour que nous les racontions