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cet art poétique est aussi ancien que la poésie lyrique elle-même. L’auteur des Lettres de Dupuis et Cotonet définissait déjà le romantisme par le genre intime. Seulement les romantiques ne consentaient qu’à exprimer des sentimens exceptionnels ou rares, et c’était dans cette direction déjà que Sainte-Beuve orientait ou faisait dévier la poésie intime. Aussi, pour définir le courant de poésie qui se dessine aujourd’hui, faut-il au mot « intime » ajouter, pour le préciser, celui de « familière. » Car c’est des sentimens les plus communs et c’est du spectacle de la vie quotidienne que les jeunes écrivains essaient de dégager toute leur poésie.

Ce retour à une poésie intime et familière, M. Fernand Gregh a été, avec M. Charles Guérin et M. André Rivoire, un des premiers à en donner le signal. De là vint le succès de son volume de début, la Maison de l’enfance, où l’on goûta tout ensemble la fraîcheur du sentiment et la clarté de l’expression. Depuis lors, son talent n’a cessé de se développer, et, d’un recueil à l’autre, sa personnalité s’est modifiée, comme il convient à mesure que l’horizon s’étend et qu’on découvre de plus haut le sens de la vie. Comme les très jeunes gens, le poète avait commencé par se plaindre et par désespérer, et nous avait fait le confident de ses souffrances. Puis il s’était aperçu que ces lamentations sont étrangement vaines, et, s’éprenant de l’action, il avait célébré la Beauté de vivre. Il y a dans les Clartés humaines un généreux enthousiasme. Mais c’est dans son dernier recueil l’Or des minutes[1], que le poète a mis vraiment toute son âme. Il l’exprime au gré du moment, au fil de l’heure. Peu importe l’occasion ou le prétexte : un paysage aperçu, un ciel de mars, un soir d’avril, une nuit d’été, une langueur d’automne. C’est une note très pénétrante de tendresse et de sagesse, de mélancolie résignée ou de bonheur calme, qui s’élargit en sympathie humaine et en gravité religieuse. Certes le poète sent profondément en lui ce qu’il y a d’incomplet dans toutes les joies humaines : et, quoiqu’il ait obtenu de la vie, il mesure toute la distance qui le sépare de l’idéal toujours rêvé et toujours inaccessible :


Un chagrin pleure au fond de ma joie incertaine
Comme un enfant captif dans sa chambre lointaine.
Quel chagrin ? Ah ! celui qu’on ne peut consoler,
Le chagrin d’un cœur vide impossible à combler
L’ennui perpétuel d’une âme inassouvie !...
Rien ne pourra remplir cette âme avide et triste...

  1. Fernand Gregh, La Maison de l’enfance ; — La Beauté de vivre ; — Les Clartés humaines ; — L’Or des Minutes ; 4 vol. in-18 (Fasquelle).