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l’ignorance obligatoire comme à la misère obligatoire, et l’ont frappé de cette servitude dont il n’y a que les suites nécessaires dans ce que nous voyons aujourd’hui, cette inertie, cette léthargie de l’opinion, ce manque de liberté d’esprit, d’énergie et de résistance morale ? « Les épaules restent courbées, » disait Shiel, « bien longtemps après que le poids de l’oppression est à bas. » Le catholique irlandais porte encore la marque du servage, il y a encore en lui, selon le mot de G. de Beaumont, la moitié d’un esclave : half slave ! dit-il lui-même, demi-serf de son ignorance et de sa faiblesse de caractère. Le mal, cependant, diminue. L’Irlande se relève peu à peu de son antique servitude. Les papistes, nous l’avons dit, commencent à revendiquer leurs droits, à se faire respecter et à faire respecter leur religion. De même et en même temps, l’instruction se développe, la bourgeoisie grandit, le noyau libéral et cultivé grossit. Plus ces forces s’accroîtront, plus les causes de la prépondérance séculière du clergé diminueront, et, lorsque la nation se sera enfin créé cette haute bourgeoisie réellement instruite et indépendante qui est actuellement le premier de ses besoins, on peut prédire qu’on verra disparaître en ce qu’elle a dès à présent d’anormal, en ce qu’elle aura alors d’excessif, et qui ne répondra plus à une nécessité des faits, cette suprématie temporelle du clergé catholique en Irlande.


IV

Elle n’est donc, à voir les choses historiquement, qu’une phase transitoire de l’évolution sociale du pays, un legs du passé, produit nécessaire de conditions très spéciales dont l’Angleterre et les « Anglais en Irlande, » perpétuels dénonciateurs du clergé irlandais, sont aussi bien les premiers responsables. Reste à savoir l’usage qui en a été fait. Disons-le tout de suite : l’influence du clergé catholique au XIXe siècle en Irlande a été surtout conservatrice, modératrice, plus apte à prévenir le mal qu’à susciter le bien. Et ne fallait-il pas qu’il en fût ainsi quand les persécutions récentes et l’oppression constante provoquaient le peuple esclave à des violences, à des révoltes qui, pour être contenues, demandaient une main répressive et apaisante, la bride et non pas la cravache ?