Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/822

Cette page a été validée par deux contributeurs.


III

C’est un peu en conquérante, en triomphatrice qu’Isabelle ou, comme on disait, Belle de Zuylen, avait pris possession de la vie. Elle était une Tuyll : cela ne signifie pas grand’chose pour des Parisiens du XXe siècle, mais cela voulait dire pour un Hollandais de 1750 qu’elle était de très vieille et très noble race. Elle avait cent mille florins de dot, ce qui était quelque chose pour ce temps-là. Elle possédait un père et une mère dont on devine la tendre indulgence sous la vieille étiquette familiale et la froideur hollandaise. Elle dessinait, jouait de la harpe et du clavecin. Elle avait de l’esprit à faire peur et son appétit de savoir s’attaquait à tout, aux mathématiques, à la philosophie, aux langues anciennes et modernes. Son anglais me semble impeccable et son français eût rendu jaloux bien des académiciens.

Était-elle jolie ? c’est toujours la grande question quand il s’agit d’une femme. Latour vint faire son portrait à Zuylen, lorsquelle avait vingt-cinq ans, et le recommença deux fois, soit qu’il fût mécontent de sa première esquisse, soit qu’il se plût auprès de son modèle (certain passage d’une lettre me le fait penser). Houdon exécuta son buste à Paris, lorsqu’elle y vint et y séjourna aussitôt après son mariage, et il fallait être Houdon pour essayer de traduire en marbre cette mobile physionomie. M. Godet nous donne, en tête du premier volume, une reproduction coloriée du pastel de Latour et une photogravure du buste de Houdon au commencement du second. Hé bien, que répondent les deux grands artistes à notre curiosité ? Pas régulièrement jolie, mais extrêmement séduisante. De magnifiques cheveux blonds, des yeux vert de mer, une peau lumineuse et rosée, une belle gorge, un sourire fin et gai avec ce nez où les Romains voyaient le signe certain des penchans satiriques.

Et au moral ? Elle va nous aider elle-même, car elle a tracé plusieurs fois sa propre image. Les peintres d’eux-mêmes ne méritent pas, en général, beaucoup de confiance, mais il faut faire pour elle une exception parce qu’elle est la sincérité même. « Zélide est voluptueuse » (nous dirions sensuelle) : il faut l’en croire. « Point vaniteuse » : c’est encore vrai, mais il faut ajouter qu’elle est ambitieuse, non pas ambitieuse d’honneurs, mais ambitieuse de jouer un rôle, de dépenser sa vitalité débordante