Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le taux de 20 pour 100 est dépassé dès que la part héréditaire est au-dessus de 100 000 francs et le taux de 22 pour 100 est franchi dès qu’elle arrive à 1 million ; enfin entre parens au delà du sixième degré et entre étrangers, le taux est de près de 23 pour 100 pour une part de plus de 10 000 francs, il excède 25 pour 100 pour une part dépassant 250 000 francs et aboutit, en fin de compte, au taux maximum de 28,81 pour 100.

Il n’est aucune législation à notre connaissance, chez aucun grand peuple et dans aucun temps, qui contienne de pareilles monstruosités. En Angleterre, un chancelier de l’Echiquier radical, sir William Harcourt, fit voter, par le Parlement britannique, en 1894, sur les successions, un système de taxes hautement progressif, mais qui s’arrêtait au maximum de 18 pour 100, au lieu du taux de 28,8 pour 100 proposé aujourd’hui en France : le taux britannique entre frères et sœurs et descendans d’eux ne dépasse pas 7 et demi pour 100 jusqu’à 1 250 000 francs et n’atteint 10 pour 100 qu’au delà de 6 millions un quart ; le taux maximum, même pour les successions de plus de 25 millions, n’est entre frères et sœurs et leurs descendans que de 11 pour 100, soit inférieur de moitié au maximum proposé en France en pareil cas ; entre descendans de frères et sœurs du grand-père et de la grand’mère du défunt, le taux reste encore, en Angleterre, de 11 pour 100 jusqu’à 1 875 000 francs et ne dépasse 12 pour 100 qu’au delà de 3 750 000 francs : en France, le droit nouveau proposé est environ le double. Il n’y a donc aucune comparaison à établir entre le tarif britannique, considéré, cependant, comme draconien, et le tarif français proposé qui est vraiment révolutionnaire.

Néanmoins, quand sir William Harcourt fit voter ce tarif de 1894, le chef de l’opposition d’alors, M. Balfour, devenu plus tard premier ministre, lui fit cette observation judicieuse : « Il n’est pourtant pas possible que le gouvernement ne laisse aux héritiers que la part d’actif qu’il ne lui convient pas de retenir. » C’est avec grand sens aussi que M. Stourm, à propos de ces taxations exagérées et arbitraires, donne à l’un des chapitres de son ouvrage sur les impôts ce titre caractéristique : « A qui appartiennent les successions ? » La législation française projetée, retournant au droit féodal ou se conformant au droit musulman, part manifestement de ce principe que les successions appartiennent à l’État qui, par grâce, daigne laisser aux héritiers ce qu’il juge convenable