Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débuts et devait rester toute sa vie ouverte à tous les nobles sentimens. Sa constante sérénité et la joie qu’il avait de produire faisaient l’étonnement et l’envie d’Eugène Delacroix qui, toujours ardent, et troublé, ne pouvait secouer les tourmens et les inquiétudes fiévreuses que lui causait la pratique de son art. A la suite d’une visite faite à l’atelier de Corot, il écrivait dans son journal : « Il m’a dit d’aller devant moi, en me livrant à ce qui viendrait. C’est ainsi qu’il fait la plupart du temps, et il n’admet pas qu’on puisse faire beau en se donnant de la peine. » Il s’en était pourtant beaucoup donné et il avait traversé des périodes difficiles. Mais de bonne heure il avait discerné sa voie et il l’avait suivie sans hésitations. Portant son attention sur toutes tes parties de son art, ne se lassant pas d’étudier, il avait mérité de conserver jusque dans sa vieillesse le charme d’ingénuité et de poésie qui rayonne dans toutes ses œuvres. Ses tableaux avaient toute la saveur d’études faites d’après nature et ses études toute l’autorité de tableaux composés à loisir. Corot, cependant, ne se croyait pas un novateur ; il ne visait pas à faire une révolution. A tous ses mérites il joignait une délicieuse modestie. Il se plaisait à répéter combien il devait aux enseignemens purement académiques de Michallon, d’Edouard Bertin et d’Aligny, et il se montra toujours reconnaissant de leurs conseils. Ce n’est pas lui qui eût songé à faire table rase du passé ; à croire qu’après tant de maîtres et de chefs-d’œuvre produits par eux, il convînt de recommencer à ses risques l’histoire de la peinture, et, sous prétexte de naïveté, de retourner à ses premiers tâtonnemens. De son temps, les artistes acceptaient encore l’obligation d’un apprentissage ; ils respectaient leurs maîtres, tout en apprenant graduellement à se passer d’eux et à trouver dans l’étude de la nature le complément d’instruction que seule elle pouvait leur donner. Sans accepter aveuglément les traditions du passé, ils estimaient qu’il y en a de nécessaires, parce qu’elles tiennent aux principes et aux racines mêmes de leur art. Ils pensaient que le dessin est l’élément essentiel de cet art, le support indispensable de la couleur et qu’on ne saurait jamais assez dessiner ; que l’exécution, parce qu’elle est de très près liée au dessin, peut ou amoindrir une œuvre, ou la faire puissamment valoir ; qu’il ne faut aucunement confondre avec l’exécution cette virtuosité banale qui n’est qu’une vaine parade ; tandis qu’en réalité, si elle est en rapport avec le caractère du sujet, l’exécution ajoute