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V

Le lot des paysagistes serait trop beau s’ils n’avaient à faire que des études d’après nature ; par malheur, ils doivent aussi faire des tableaux.

Entre ces deux tâches, il est vrai, la délimitation n’est pas très nette et de notre temps surtout une extrême confusion s’est produite à cet égard. Le plus souvent, en effet, les paysages qui figurent à nos expositions ne sont que des copies, grandies ou à peine modifiées, d’études exécutées d’après nature, quand ce ne sont pas ces études elles-mêmes. On comprend d’ailleurs qu’une fois entrées dans les habitudes, ces pratiques se soient rapidement développées, jusqu’à devenir tout à fait exclusives. Dans le commerce assidu que les paysagistes doivent entretenir avec la nature, tout en elle leur paraît si beau, qu’à la prendre ainsi pour soutien continuel, ils arrivent bientôt à ne plus pouvoir se passer d’elle. La continuité d’un travail aussi attrayant n’excluant pas une certaine paresse d’esprit, ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils en sont venus à considérer comme un but et une fin ce qui, pour leurs devanciers, n’avait été qu’un moyen. En rentrant à l’atelier, livrés à leurs seules ressources, ils sentent, avec l’effacement graduel de leurs impressions et de leurs souvenirs, une incapacité croissante à faire des tableaux. Ceux qui s’y appliquent encore deviennent de plus en plus rares : leur tâche est ingrate et elle n’est pas encouragée par l’opinion.

Et cependant le tableau doit avoir ses qualités propres, sinon supérieures à celles de l’étude d’après nature, tout au moins différentes. Si cette étude est restée isolée, elle ne répond pas à son objet ; elle est incomplète. Il faut qu’elle ait un lien avec celles qui l’ont précédée, avec celles qui la suivront ; que toutes contribuent à développer chez le paysagiste la mémoire, l’esprit d’observation, le goût et le sens des ensembles, cette faculté de dégager d’accidens particuliers et d’indications fragmentaires quelques lois d’ordre plus général qui constituent la science complexe du dessin, des valeurs, des effets, des harmonies, en un mot de tous les élémens de l’art de peindre mis en œuvre dans l’exécution d’un tableau.

Il est certain que les recettes et les vieilles formules ont fini leur temps ; que les anciens procédés de composition, les