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premier jour sortie de ses attributions, et d’avoir empiété sur celles du pouvoir exécutif en ordonnant des enquêtes qui n’étaient pas de sa compétence. L’Assemblée a voulu savoir, en effet, comment certains massacres s’étaient produits, préoccupation qui était de sa part assez légitime après les terribles révélations que le prince Ouroussoff avait portées à la tribune, et qui n’avaient pas été contredites. Notons, en passant, que le prince Ouroussoff avait dégagé, dans toutes ces affaires, la responsabilité personnelle de M. Stolypine, ministre de l’Intérieur, aujourd’hui président du Conseil. Si l’Empereur avait voulu faire purement et simplement de la réaction et de la dictature, ce n’est pas à M. Stolypine qu’il se serait adressé pour cela. Mais en admettant que tous les faits relevés à la charge de la Douma aient chacun pour sa part motivé sa disgrâce, celui de tous qui a été le plus décisif, la goutte d’eau qui a provoqué le débordement du vase, est l’attitude de l’Assemblée dans la question agraire. Le ministère proposait l’aliénation au profit des paysans des domaines de la Couronne : la Douma estimait que ce n’était pas assez et réclamait de larges expropriations opérées sur la propriété privée.

Elle a paru vouloir saisir directement le pays de cette question, la plus propre de toutes à l’agiter jusque dans ses couches les plus profondes. Aussi l’inquiétude du gouvernement s’explique-t-elle fort bien ; mais on peut se demander si la cause en a été dissipée avec la Douma elle-même. Jusqu’ici, le paysan russe avait mis toute son espérance dans l’Empereur pour obtenir de lui des distributions de terres : ne la mettra-t-il pas désormais ailleurs après l’immense déception qu’il vient d’éprouver, et quels ravages ce changement ne fera-t-il pas dans sa mentalité très simple ? Pour retenir les esprits qui risquent de s’échapper hors des voies du loyalisme, ou pour les y ramener, le gouvernement a beaucoup à faire. Il a des initiatives hardies à prendre et à exécuter rapidement. Des actes comme celui qu’il vient d’accomplir ne se justifient que par les suites qu’on sait en tirer. Catherine de Médicis aurait dit que c’est bien coupé, mais qu’il faut coudre.

Le fait une fois accompli, la faute une fois commise, le mieux est de s’appliquer à en atténuer les conséquences au lieu de les aggraver. La bonne foi de l’Empereur est hors de cause. Lorsqu’il affirme qu’il reste partisan d’un gouvernement appuyé sur une assemblée, il mérite d’être cru, et ceux mêmes qui n’auraient pas une confiance entière dans la fermeté de sa résolution n’ont pourtant rien de plus sage à faire que de le prendre au mot. La majorité de l’assemblée dissoute a probablement commis une faute en se rendant à Viborg, en Finlande,