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une autre, qu’elle soit de beaucoup supérieure à celle-ci. Puisse-t-elle du moins avoir en face d’elle un gouvernement capable de lui parler ! Cette condition élémentaire d’une collaboration effective et efficace entre un ministère et une assemblée a fait complètement défaut dans la phase historique qui vient de se clore. La Douma et le ministère ne semblaient pas parler la même langue, et ils n’ont pas tardé à s’ignorer complètement. Dès lors, le gouvernement ne pouvait faire que de l’arbitraire comme autrefois, et la Douma que des manifestations stériles. Ils n’y ont manqué ni l’un ni l’autre. A mesure que la Douma sentait son impuissance, qui était le résultat de son isolement, ses manifestations ont dû s’accentuer davantage et elles ont failli prendre, au dernier moment, un caractère révolutionnaire. La Douma n’a pourtant pas commis cette faute : si elle l’avait commise, le fait, quelque condamnable qu’il eût été, n’aurait pas manqué de quelque excuse. Du côté du gouvernement et de la Cour, la Douma ne sentait à son égard qu’éloignement et défiance : il fallait donc bien qu’elle cherchât un point d’appui ailleurs. Si la Cour lui avait témoigné d’autres sentimens, et si le gouvernement avait su les lui exprimer, les choses auraient sans doute pris une autre allure. Mais, soit maladresse, soit calcul, on a tout fait pour pousser l’assemblée dans les extrêmes, et pour déconsidérer le parti modéré, qui a compromis et perdu sa popularité en l’empêchant de s’y jeter. Nous qui sommes de vieux parlementaires et qui savons de quels sacrifices personnels se compose le rôle difficile des partis intermédiaires, nous plaignons de tout notre cœur les constitutionnels-démocrates, les cadets, comme on les appelle en Russie. Un gouvernement intelligent aurait essayé de faire quelque chose avec eux. On a cru un moment que le gouvernement impérial tenterait l’expérience ; mais il n’en a rien fait, et il a brisé du coup l’instrument qui lui aurait permis de gouverner avec la Douma, ou du moins de l’essayer loyalement. Alors les événemens se sont précipités ; la Douma a été dissoute ; le parti des transactions est tombé dans le discrédit, et il n’existe plus pour le moment en Russie que le gouvernement autocrate d’un côté et la Révolution de l’autre. On fait affluer les troupes à Saint-Pétersbourg, et on a raison sans doute ; mais il en faudra partout, et il est à craindre que l’ordre ne puisse être maintenu qu’au prix d’une terrible répression.

Le manifeste impérial qui explique les motifs pour lesquels la Douma a été dissoute est naturellement un acte d’accusation, et ne pouvait guère être autre chose. Il reproche à l’Assemblée d’être dès le