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et possède une grâce séduisante à laquelle il est difficile de résister. Il a aussi au suprême degré le talent de se faire aimer de tous ceux qui l’entourent. Un tel homme pourrait faire beaucoup pour le Roi et pour le bonheur de la France, si on parvenait à le mettre exactement dans la bonne route et à l’y maintenir.

« J’oserai dire qu’il veut marcher au vrai but, mais qu’il ne chemine encore que par des sentiers incertains. Ses idées de gloire sont sublimes ; il s’en fait une aussi juste que brillante de celle qui deviendrait son partage, s’il rétablissait la monarchie d’Henri IV. Son cœur est plein de sensibilité et d’honneur. Mais, comme je vous l’ai déjà dit, mille pensées, mille projets divers lui passent par la tête. Il voudrait ci, il voudrait ça.

« II a auprès de lui, et la chose est assez singulière, quatre personnes confidentielles, qui sont absolument les antipodes les unes des autres. M. de Camps homme d’esprit, son premier aide de camp, son frère de lait, son camarade d’enfance, et M. de Shelegel son secrétaire politique, nous détestent. M. Gré, son compatriote, son vieil ami, celui qui le premier lui mit un uniforme sur le corps en lui disant qu’il le faisait maréchal de France et qui lui sert maintenant de secrétaire particulier, ainsi qu’un M. Plantier, également Béarnais, qui a été émigré, criblé de blessures au service de la bonne cause et qui porte continuellement sa croix de Saint-Louis, attachée sur son cœur, à sa bretelle ; ces deux derniers, dis-je, sont, au contraire, s’il était possible de se servir pour une pareille vertu d’un pareil terme, des Bourbonnistes exagérés. Aucun des quatre n’exerce sur le prince royal une influence assez décidée pour lui faire changer d’avis, lorsqu’une fois il a pris son parti ; mais, comme ils vivent dans son intérieur le plus intime, surtout M. de Camps, et qu’ils lui disent tout ce qu’ils veulent dans leur patois, ils ne laissent pas que d’avoir beaucoup d’empire sur ses incertitudes et de les fixer quelquefois. Le premier a plus d’esprit que l’autre, mais celui-ci a peut-être plus de finesse. Voici donc les deux hommes entre lesquels l’opinion et le vœu du prince royal, au sujet du l’établissement de la maison de Bourbon, sont continuellement ballottés. Mais un grand point de gagné déjà, c’est que tout est d’accord pour la chute du tyran, et pour l’expulsion hors de France de tout ce qui est Corse, ou tient à la famille du Corse. »

— Je vous déclare, avait dit Bernadotte en présence de plusieurs