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Cette argumentation désolait Louis XVIII et Blacas. Celui-ci considérait comme imprudente une telle politique et il le confiait à De Maistre. « Le Corse, qui ne pourrait défendre la France contre le Roi armé d’un sage manifeste, défendra encore l’Allemagne contre les canons du prince de Smolensk. Et quand ils seraient maîtres de l’Empire germanique, les Russes ne se trouveraient que sur le théâtre où Souwaroff a vu borner sa victorieuse carrière. En un mot, si je peux faire usage d’une figure que vous me passerez en faveur de l’application et d’un vieux goût que vous m’avez reproché bien des fois, Buonaparte qui a été décavé n Russie ne peut perdre son tout qu’en France et c’est là qu’un intérêt bien entendu le forcerait à jouir de son reste. »

Bientôt après, tout faisait prévoir que les vœux de Blacas ne tarderaient pas à être exaucés et que la partie suprême se jouerait sur le territoire français. Le 13 juillet, l’armée anglaise, qui sous les ordres de. Wellington opérait en Espagne, s’approchait de la frontière. Des détachemens isolés la franchissaient accidentellement sous prétexte de se procurer des vivres et du four- rage. Louis XVIII s’inquiétait des exactions qu’ils pourraient commettre. « J’aimerais presque autant qu’on allât planter les Léopards sur les remparts de Rayonne parce que ce serait une démarche politique, bien mauvaise sans doute, mais qu’une autre pourrait effacer, au lieu que l’effet de ce que je viens de détailler doit être d’inspirer haine et confiance contre ceux dont l’appui est indispensable. Je voudrais donc au moins que le gouvernement ordonnât en ce cas la discipline la plus exacte et punisse sévèrement quiconque y aurait manqué. »

Entre temps, on apprenait à Londres que le pape Pie VII venait de consentir à Napoléon un nouveau concordat qui faisait de l’Eglise la véritable vassale de l’Empire. On ignorait encore en quelles circonstances quasi tragiques la violence impériale avait arraché à la faiblesse d’un vieillard captif ces concessions incroyables ; on croyait qu’il ne les avait faites qu’afin de rentrer en possession de Rome. Cette nouvelle exaspérait Blacas, livrait son âme à l’indignation et à la douleur.

« Le roi de Rome avait besoin d’une légitimation et d’une association plus imposante que celle du serment offert par les sénateurs et les préfets. Le successeur de saint Pierre rendra ce service, mais il aura Rome ! Il ouvrira au tyran, qui vient de sacrifier