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parer de grâces étrangères, ils s’attachent à le représenter tel qu’il est, à lui conserver fidèlement son caractère. A force de conscience et d’amour, de cette pauvreté même du Pays des Gueux, ils tirent une poétique nouvelle qu’ils imposent par leur talent à notre admiration. Désireux de nous en montrer des aspects véridiques, van Goyen, un des premiers, sent le besoin de vivre dans un commerce plus étroit avec la nature. Attiré par le spectacle des immenses étendues d’eau qui couvrent la Hollande, il s’arrange avec des mariniers pour partager leur misérable existence et sur un album de voyage, qui nous a été conservé, on peut relever les étapes des traversées qu’il fait avec eux, dessinant au passage les estacades branlantes où ils abordent, les barques qu’ils rencontrent, les rives basses entre lesquelles ils naviguent et d’où çà et là un bouquet d’arbres, un modeste clocher émergent au-dessus des Ilots limoneux. Ces croquis, exécutés le plus souvent à la pierre noire, sont enlevés avec autant de sûreté que de prestesse. Si rapides qu’ils soient, ils suffiront à l’artiste pour en tirer les sujets de ses tableaux, véritables camaïeux au bistre, dont la monochromie est à peine relevée par quelque touche d’un azur pâle dans le ciel, le rouge amorti d’un vêtement et la verdure olivâtre des végétations.

Ces motifs favoris de van Goyen ne reproduisaient, du reste, qu’un des aspects de sa patrie ; Jacob Ruisdaël, allait prendre possession de la Hollande tout entière. Dans les admirables dessins du maître, les formes et les valeurs relatives sont indiquées avec la plus scrupuleuse exactitude. La campagne des environs de Harlem y apparaît avec ses beautés pittoresques, ses plages, sa mer, ses bois, ses dunes mélancoliques, ses ciels mouvementés. En face de cette nature abandonnée à elle-même, le grand artiste s’applique de son mieux à mériter ses confidences, à les exprimer avec une respectueuse sincérité. Les momens qu’il consacre à ces études font seuls diversion aux rigueurs de sa destinée, car il a dû, toute sa vie, payer par sa misère la rançon de son génie. La fidélité des images qu’il nous a laissées est si complète que partout on retrouve sa trace dans ce pays qu’il a tant aimé et les places mêmes où il s’est assis. Mais si dans les lignes le portrait est d’une ressemblance absolue, il faut reconnaître que les colorations en sont tout à fait conventionnelles et prouvent avec une entière évidence qu’elles n’ont pas été copiées d’après la nature elle-même. Tout au plus Ruisdaël