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significatifs. Une telle étude est singulièrement complexe ; elle exige une méthode et des procédés dont la pratique, d’abord assez grossière, devait peu à peu se perfectionner. Pendant longtemps, chacun marche, à l’aventure, suivant ses goûts, ses aptitudes et ses moyens particuliers d’observation et de travail. Un carnet de poche suffit à Poussin pour tracer sommairement dans la campagne une esquisse rapide des motifs qui lui plaisent. Le plus souvent, c’est à la plume et à gros traits qu’il en établit les grandes lignes ; les principales valeurs sont indiquées par des teintes de lavis, avec une franchise qui confine à la rudesse. Dans la hâte et la brusque concision du travail, on retrouve quelque chose de cette verve endiablée, furia di diavolo, qu’on remarque dans les productions de sa jeunesse et qu’il a peu à peu perdue dans ses tableaux. Ces dessins sont faits pour lui-même, sans aucune préoccupation de belle apparence, ni de virtuosité ; ils n’ont d’autre but que de le renseigner, de fixer exactement ses souvenirs. Tels qu’ils sont, ils lui suffisent ; poussés plus loin, peut-être gêneraient-ils sa liberté. Mais, au cours de ses promenades, le maître a besoin d’être seul pour vivre avec sa pensée, pour la mûrir, pour chercher autour de lui tout ce qui peut en rendre l’expression plus claire et plus forte. « Il faut avant tout, disait-il, que le dessin soit conforme à la nature des sujets. » Ses facultés d’observation s’exercent dans ce sens et son amour de la nature, toujours plus profond avec les années, lui inspire des naïvetés touchantes. Un Français établi à Rome et qui l’a connu dans sa vieillesse, nous le montre errant parmi les ruines et « rapportant dans son mouchoir des cailloux, de la mousse, des fleurs et d’autres choses semblables qu’il voulait peindre exactement. »

Vers ce même temps, Claude Lorrain demandait à la nature des consultations plus suivies et plus précises. À ses débuts, il s’était contenté de dessiner dans la campagne avec toute la conscience dont il était capable, se servant de la plume ou du crayon pour tracer son esquisse, il marquait ensuite les valeurs relatives des principales masses par des teintes légères d’encre de Chine ou de bistre. Quant aux colorations, il préparait sur place les tons de sa palette afin de s’en servir en rentrant à l’atelier, alors que son souvenir avait encore sa netteté. C’était là un procédé long et difficile auquel il s’était appliqué, jusqu’à ce qu’un beau jour, rencontrant l’Allemand Sandrart qui