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ces maîtres eux-mêmes, pourrait-on relever quelque trace de leurs hésitations et de leur réserve à cet égard. Personne n’a consulté la nature avec plus de curiosité et d’amour que Léonard, et cependant elle n’apparaît guère que par ses étrangetés dans les tableaux de l’artiste. Si les admirables dessins exécutés d’après nature dans la campagne par Durer sont d’une sincérité absolue et d’un sens tout moderne, à peine peut-on en soupçonner quelques vagues réminiscences dans ses gravures et moins encore dans ses tableaux. Rubens s’est toujours ressenti de son éducation classique et de son commerce prolongé avec les maîtres italiens ; ce n’est qu’à la suite de l’acquisition du domaine de Steen et de ses séjours prolongés à la campagne, qu’il commença à s’intéresser aux travaux des champs, aux aspects variés des heures et des saisons, et à comprendre qu’il y avait pour lui dans de tels spectacles l’occasion de renouveler et d’étendre son talent, d’en manifester la merveilleuse fécondité, bien plus que dans les imaginations fantaisistes auxquelles il s’était complu jusque-là. De même, Rembrandt, si original et si personnel, dès ses débuts, dans ses portraits et ses compositions, ne s’affranchit que très tardivement de l’influence des italianisans dans ses interprétations de la nature pittoresque. C’est seulement en pleine maturité qu’il s’avise de regarder le pays où il vit et qu’il n’a jamais quitté, d’en copier alors avec une entière sincérité les plus humbles motifs et, à force de vérité, d’en dégager le caractère et la poésie. De là un contraste et comme un antagonisme saisissans entre l’exactitude absolue de ses dessins et de ses eaux-fortes exécutés en face de la nature, et l’aspect conventionnel de la plupart de ses paysages peints. Et cependant, à ce moment, l’école du paysage intime est déjà fondée et c’est en Hollande même, à côté de lui et par ses amis, que s’est opérée cette transformation profonde d’où dérive notre façon moderne de comprendre et d’interpréter la nature.

Ce n’est que progressivement d’ailleurs et après des tentatives réitérées que les artistes du Nord devaient parvenir à cette compréhension du paysage, en restreignant de plus en plus la place que l’homme y occupe. Pendant longtemps en Flandre, les peintres se refusent à admettre que la nature seule puisse suffire à l’intérêt de leurs œuvres et ils accumulent à l’envi dans leurs tableaux les accidens pittoresques les plus étranges, réunis sans plus de goût que de vraisemblance. Chez Patinir et chez