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pas oublier les occasions. Une conversation avec le duc de Noailles, qui revient d’Espagne, lui fait craindre que Philippe V, qui s’est cru un moment abandonné par la France, n’en ait conservé contre lui quelque ressentiment. Il tient à s’expliquer en toute franchise avec ce frère si véritablement aimé. « Le duc de Noailles m’a dit que vous l’avez questionné si je n’étois point refroidi à votre égard. Il est vrai, mon cher frère, que dans les choses où j’ai pu croire les intérêts de la France différens des vostres, je me suis attaché à la France, préférablement à l’Espagne, mais pour le fond du cœur, il a toujours esté le mesme, et ce m’est une véritable joye que, les intérêts se réunissant, le devoir et l’amitié puissent tendre à un mesme but. Soyez donc, je vous prie, bien persuadé de ma tendresse, et n’ayez plus aucun doute là-dessus. Je puis vous assurer que dans la situation où nous nous sommes trouvés, vous en auriez fait autant que moy, mais je puis vous assurer que je n’ai jamais été que jusqu’où j’ai cru que l’exacte justice pouvoit me le permettre. Encore un coup, mon cher frère, aimez moy toujours comme vous l’avez fait jusqu’icy, et comptez que la tendresse que j’ai pour vous durera autant que moy[1]. »

On sait la suite des événemens. Les alliés n’ayant rien voulu rabattre de leurs exigences, et ayant déclaré « qu’il n’y avait qu’à prendre ou à laisser, » en n’accordant que quinze jours aux plénipotentiaires pour répondre, Louis XIV rompit les négociations. Au lieu d’abandonner l’Espagne, il y renvoyait le duc de Noailles à la tête d’une armée, et, cédant aux instances de Philippe V auxquelles se joignait le Duc de Bourgogne, il lui expédiait Vendôme. Celui-ci remportait à Villa-Viciosa une victoire éclatante qui rétablissait les affaires, au moins en Espagne. Par inadvertance ou à dessein, car à ce moment il paraît avoir été un peu piqué contre son petit-fils, Louis XIV loua en plein Conseil le roi d’Espagne « d’avoir laissé faire le duc de Vendôme. » Torcy, qui rapporte ce propos, admire en même temps « la vertu de M. le Duc de Bourgogne, car il ne parut en rien que ce discours lui fît la moindre peine, quoiqu’il eût tout l’esprit et tout le discernement nécessaire pour en bien sentir la force[2]. » Le Duc de Bourgogne poussait même la vertu jusqu’à écrire à

  1. Archives d’Alcala. Lettres des 9 février, 2 et 28 septembre, 17 novembre, communiquées par l’abbé Baudrillart.
  2. Journal de Torcy, p. 322.