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fois où le trésor se trouverait en état de pénurie, c’est à lui qu’on aurait recours pour y pourvoir. Quoi de plus simple, en effet ? Cet impôt a l’avantage de ne pas fléchir comme les autres quand on lui demande trop, puisque l’État paraît toujours maître de s’adjuger dans une succession ouverte la part qui lui convient. Est-ce à dire qu’il peut ici tout se permettre ? Non : les abus de fiscalité entraînent toujours des dissimulations et des fraudes. La richesse acquise ne sait pas toujours se défendre, mais elle est très habile à se cacher et les frontières ne l’arrêtent pas, au contraire : on le voit dès aujourd’hui. Et ici nous ne jugeons pas, nous constatons. Quand un impôt commence à tourner à la confiscation, bien des gens se croient tout permis pour y échapper. Confiscation ! Le mot paraîtra bien gros ; il est peut-être prématuré. Pourtant, lorsqu’on voit l’impôt successoral s’élever déjà dans certains cas, entre personnes non parentes il est vrai, à près du tiers de la matière imposable, ne peut-on pas dire que ce mot correspond à plus du tiers de la vérité ? Même entre parens, l’échelle progressive est tout à fait excessive, puisqu’elle va finalement jusqu’à plus de 25 p. 100. M. le ministre des Finances, se rappelant sans doute qu’il a été autrefois le principal auteur de la loi à laquelle nous devons la progression en matière successorale, a eu du moins la prudence, — que n’auront pas tous ses successeurs, — de ne pas aggraver l’échelle de la progression elle-même : il s’est contenté d’en surcharger également tous les degrés. C’est un moindre mal, mais c’est quand même un poids très lourd ! Tout le monde commence enfin à s’effrayer des facilités dangereuses que présente ce genre d’impôts. A quoi M. le ministre des Finances répond qu’il ne tient pas plus à celui-là qu’à un autre et que, si on en trouve un meilleur, il en sera enchanté : il ne mettra aucun amour-propre d’auteur à défendre le sien. Personne, nous le craignons, ne sera plus ingénieusement inventif que M. Poincaré ; mais, s’il faut l’approuver, nous n’en protesterons que plus fort contre ceux qui nous ont mis dans la triste obligation de le faire. Et nous ne parlons pour le moment que de la partie qui nous est connue des projets de M. le ministre des Finances, c’est-à-dire de celle que le budget nous apporte. Nous ignorons toujours ce que sera l’impôt sur le revenu qu’il prépare. Nous savons seulement une chose, c’est qu’à moins de n’être qu’un remaniement des taxes actuelles, de manière à les répartir plus équitablement sans chercher à en obtenir un rendement plus considérable, cet impôt sera, dans les circonstances actuelles, la plus folle des aventures. Et s’il est seulement ce que nous venons de dire, qui satisfera-t-il ?