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A trois heures de l’après-midi, je me procurai, avec l’aide de quelques louis d’or, un siège dans une sorte de théâtre, édifié, pour la circonstance, à la porte des Tuileries.

L’ordre avait été donné qu’un profond silence fût observé, et que personne, sous aucun prétexte, ne se découvrît. Le carrosse du roi était d’ailleurs entouré de gardes nationaux, qui formaient, autour de lui, une masse impénétrable. Et j’ajoute que cet ordre ne m’empêcha point de soulever mon chapeau, au passage du roi : hardiesse que j’aurais payée cher, si un officier n’avait point persuadé aux sans-culottes de me laisser tranquille, en leur assurant que j’étais un fou irlandais.

Il y avait dans le carrosse, avec la famille royale, deux des commissaires, Barnave et Pétion, ce dernier tenant le petit Dauphin sur ses genoux. Le troisième commissaire, La Tour Maubourg, était dans une autre voiture. Sur le siège du carrosse royal étaient assis deux gardes du corps, tous deux jeunes, et d’excellente famille. Ils avaient les mains liées, comme les plus vils scélérats, et les visages exposés à la brûlure du soleil.


Le 20 janvier, veille de l’exécution de Louis XVI, Whaley vit entrer au Café de Foy deux hommes qui, armés de sabres et de pistolets, crièrent à plusieurs reprises : « Que ceux-là nous suivent, qui veulent sauver le roi ! » Mais personne ne répondit à cet appel. Le lendemain, l’Irlandais, « vêtu comme un vrai sans-culotte, » se trouvait, dès neuf heures, sur la Place de la Révolution, déjà absolument remplie de curieux ; mais, après s’être poussé jusqu’au pied de l’échafaud, son courage l’abandonna, et il s’enfuit au Palais-Royal. Il nous raconte, cependant, ce qu’il a pu savoir de la tragédie :


A dix heures, un grand corps de soldats, à pied et à cheval, firent leur apparition. Ils étaient suivis d’un carrosse, traîné par deux chevaux noirs, et amenant la victime royale, son confesseur, un officier municipal, deux officiers des gardes nationaux, et deux prêtres assermentés. Devant le carrosse chevauchait l’infâme Santerre.

Parvenu au bas de l’échafaud, le roi descendit, ôta son habit, qui était de couleur grise, et gravit les marches, d’un pas ferme, en promenant sur la foule un regard tranquille. Puis il s’avança, et voulut parler ; mais une batterie de tambours étouffa sa voix, de telle sorte qu’on ne put entendre que ces mots : « Je meurs innocent. Je pardonne à mes ennemis, et fasse le Ciel que la France… » Ici, par l’ordre de Santerre, l’exécuteur saisit le roi et l’attacha sur la planche. La chute du couperet ne sépara pas immédiatement la tête du tronc ; mais le bourreau, en pressant sur le fer, la fit tomber dans un panier placé là pour la recevoir. Alors un des aides, que l’on m’a dit être un ancien commis d’un marchand de vins de Reims, saisit la tête coupée, et, faisant le tour de l’échafaud, l’exposa au peuple. Quelques voix crièrent : « Vive la Nation ! Vive la République ! »

Quant à moi, j’avais encore l’esprit tout torturé des sensations les plus