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de la Révolution, comme si la France eût été seule dans le monde, sans rivaux, sans jaloux, sans ennemis. « On a fait trop insuffisante la part de l’Europe, de ses princes, de ses peuples, de leurs prétentions, de leurs traditions, de leurs convoitises de la terre, de leurs desseins de suprématie… J’ai essayé de faire cette part plus exactement. » L’Europe avait commencé par assister sans inquiétude au mouvement révolutionnaire ; les penseurs y avaient applaudi, et les chefs d’État s’en réjouissaient, très persuadés que c’était pour la France une cause certaine d’affaiblissement. Mais il fallut bientôt s’éveiller de cette sécurité. Car si la Révolution baigne dans le passé, ou si les traditions du passé s’y insinuent, d’autre part elle offre un caractère nouveau, qui la différencie de toutes les révolutions qui l’avaient précédée en Europe : c’est le prosélytisme, la frénésie de propagande. Elle veut porter dans tous les pays les idées françaises ; mais en travaillant au triomphe de ces idées, elle poursuit en même temps celui de la suprématie française et devient une menace pour les États européens.

Ces deux points établis — le lien avec le passé de notre histoire, le lien avec la politique de l’Europe — l’historien de la Révolution n’a plus de peine à dérouler la trame ininterrompue où se succèdent tous les événemens. Les guerres de la Révolution font suite à celles de la monarchie, nous mettant aux prises avec les mêmes adversaires pour la possession des mêmes avantages ; les guerres de l’Empire font suite aux guerres de la Révolution. Danton s’écriait : « Les limites de la France sont marquées par la nature. Nous les atteindrons dans leurs quatre points : à l’Océan, aux bords du Rhin, aux [Alpes, aux Pyrénées. » C’est la maxime d’État d’où vont sortir vingt-trois années de guerre. A aucun moment l’Europe n’admit que la France conservât ses limites naturelles. Une fois engagés dans cette lutte, ni le gouvernement révolutionnaire, ni celui de Napoléon ne pouvaient plus s’arrêter. La politique de l’Empire continue celle du Directoire, qui avait continué celle de la Convention. On a coutume d’émettre sur le compte d’une insatiable avidité de conquêtes l’enchaînement des guerres napoléoniennes ; le fait est qu’il y faut plutôt voir un effet de la force des choses. A maintes reprises Napoléon a souhaité la paix, d’autant plus sincèrement qu’elle était tout à son profit. Après Marengo, il n’avait plus rien à gagner à la guerre. La paix, une paix splendide, était sa raison d’être au pouvoir et la garantie de son gouvernement. La paix partout, dans la société par le Code civil, dans les âmes par le Concordat, la réorganisation du travail, de l’industrie, du commerce, du crédit de la France, voilà le programme du