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parfaitement bien les raisons que celui-ci avait fait valoir, parlant, dit Torcy, « sur les guerres injustes, en prince rempli de piété et des maximes de notre religion. » « Il ne m’appartient pas, ajoute-t-il, de juger s’il les appliquait en leur place[1]. »

Ainsi, quels que fussent ses motifs, le Duc de Bourgogne se montrait plus ferme que Torcy, et il se prononçait nettement contre l’acceptation d’une condition ignominieuse. Le Roi lui donna raison ; s’adressant à Torcy, il déclara « qu’il ne voulait en aucune façon du monde promettre ni faire envisager que jamais il consentît à faire la guerre au roi d’Espagne[2], » et il lui commanda de préparer une autre réponse à faire aux plénipotentiaires.

La même question devait revenir une seconde fois devant le Conseil et dans des circonstances encore plus critiques. Quelle que fût la pression que de Versailles on exerçât sur lui, Philippe V répondait que rien ne le déciderait à abandonner de son plein gré son royaume et ses fidèles sujets castillans. D’un autre côté, les alliés ne voulaient rien rabattre de leurs exigences ; les plénipotentiaires de Gertruydenberg faisaient savoir qu’on était à la veille d’une rupture et demandaient des instructions définitives. Villars, qui était à la veille de partir pour prendre le commandement de l’armée, avait eu une audience du Roi qui lui donnait le pouvoir de combattre ; mais comme c’était « absolument exposer l’Etat au hasard d’une journée, il avait, rapporte Torcy, cru, en cette occasion, devoir en bon sujet presser Sa Majesté de faire la paix à des conditions dures, même en déclarant la guerre au roi d’Espagne, plutôt que de tout perdre[3]. »

Il n’était donc plus personne qui ne fût d’avis de céder et c’est dans ces conditions vraiment tragiques que s’ouvrit le Conseil du 11 mai. Le Roi invita de nouveau chacun à dire son avis. Beauvilliers, auquel Chevreuse avait fait parvenir un mémoire en ce sens, suggéra un expédient : c’était d’offrir de l’argent aux alliés pour les dépenses de la guerre qu’ils seraient obligés de faire au roi d’Espagne. Torcy, qui aurait été disposé à aller plus loin encore, car il voulait qu’on fît expliquer les alliés sur la manière dont le Roi s’y prendrait pour détrôner son petit-fils, se rallia à cet expédient. Voysin, Desmaretz, le

  1. Journal de Torcy, p. 153.
  2. Ibid., p. 156-157.
  3. Ibid., p. 177.