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d’Espagne, lui ont fait cesser d’être Françoise. » Sans doute elle souhaite de voir leur règne affermi, mais elle ne voudrait pas pour cela la destruction de la France, et elle craint plus la perte de la France que celle de l’Espagne. Dans une conversation avec Villars, elle allait plus loin et disait qu’il n’y avait d’autre parti à prendre que de faire la guerre à l’Espagne. Son sentiment était au reste devenu tellement public que le Grand Pensionnaire Heinsius engageait un des intermédiaires secrets dont il se servait, le teinturier Florisson, à s’adresser directement à elle parce qu’il savait qu’elle voulait la paix[1]. »

Villars lui-même, si présomptueux d’ordinaire, ne donnait pas d’autres conseils. Retenu à Versailles par la blessure qu’il avait reçue à Malplaquet, mais destiné, aussitôt rétabli, à prendre le commandement de l’armée de Flandre, il ne croyait pas, rapporte Torcy, que le Roi pût faire la paix à des conditions meilleures que celles que les ennemis avaient demandées, car « il recevait de la frontière des lettres lamentables et la misère des officiers et des soldats était à un tel point que plusieurs ayant déjà déserté, les meilleurs se voyaient forcés de suivre incessamment le même exemple pour ne pas périr par la faim[2]. »

On comprend qu’ainsi pressé, circonvenu de toutes parts, Louis XIV se soit résolu, quoique sa fierté en dût souffrir, à prêter l’oreille aux ouvertures que lui firent de nouveau parvenir les Hollandais et à rentrer en pourparlers. Le cri public qui s’élevait, à tort ou à raison, contre le malheureux Rouillé lui fit choisir de nouveaux plénipotentiaires. C’étaient le maréchal d’Huxelles et notre ancienne connaissance l’abbé de Polignac, qui n’était point encore cardinal, mais seulement abbé de Bonport. Tous deux, au mois de mars 1710, partirent pour la Hollande. En passant, ils s’arrêtèrent à Cambrai où ils ne cachèrent pas à Fénelon (et celui-ci dans une nouvelle lettre à Chevreuse s’empare de leur conversation) le peu de confiance qu’ils entretenaient dans le succès de cette nouvelle négociation. Les instructions qu’ils emportaient, semblaient cependant de nature à en faciliter le succès. Ils étaient en effet autorisés à accepter les conditions si dures des préliminaires de la Haye que nous avons vues énumérées dans la lettre du Duc de Bourgogne à Philippe V, une seule exceptée. Au cas où le roi d’Espagne n’aurait pas voulu

  1. Journal de Torcy, p. 122-177.
  2. Ibid., p. 70.