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mousseline et les relient par des ornemens courans. L’Inde du Sud ne possède pas de si habiles ouvriers ; on n’y fabrique aucune broderie, aucun tissu de luxe. Les tisserands se contentent de produire ces immenses pièces de cotonnade que l’on voit, tendues horizontalement sur leurs métiers rustiques, s’allonger à l’infini dans les landes stériles où se dressent de misérables paillotes en pisé. Le paysage ici n’a rien de commun avec les splendeurs de la nature tropicale. Entre la mer, dont la ligne bleue ferme l’horizon et se confond avec le ciel, et la campagne roussâtre, s’étendent les sables blancs de la plage où les cocotiers sont pressés comme les colonnes grêles d’un temple ruiné. L’estuaire de la rivière, obstrué par des bancs, se garnit sur ses bords d’arbustes épineux qui, pour la plupart, sont des légumineuses à bois dur. Partout la végétation est pauvre, clairsemée ; la terre rougeâtre, crevassée, s’effrite sous le soleil torride. On sent que tout cela appelle la pluie, l’attend depuis des mois, depuis des années même. Dès qu’une plante a levé sa tige hors du sol, elle se courbe, se flétrit et meurt. Ce n’est qu’à force d’arrosages que l’on sauve les jardins à bétel. Le long de la route, ils font de grandes taches vertes, sombres, carrées. Sur les larges feuilles, l’eau ruisselle ; les jardiniers ne cessent d’actionner les norias. Chacun de ces enclos est soigneusement gardé, défendu par de hautes parois en nattes qui sont reliées à des pieux. La nuit, des veilleurs s’y installent de peur des voleurs. Quand nous nous approchons de ces jardins, les indigènes nous surveillent d’un œil soupçonneux.

Ils nous surveillent partout d’ailleurs, mais plutôt par curiosité que par méfiance. Etonnés de voir des hommes graves se donner tant de mal pour attraper des mouches, ils nous accompagnent de loin ; certains, plus familiers, nous suivent pas à pas ; d’autres interrogent le cocher et aussi le « Myrmidon. » Le Myrmidon est un petit paria d’espérance que Fouquet a pris à son service. Il consacre une partie de son temps à la recherche des insectes et l’autre à vagabonder par les rues. Pas de matin où je ne le rencontre flânant en compagnie des marchands de lait qui vont de porte en porte traînant leur vache à bout de corde et portant sous le bras un veau empaillé, au moyen duquel ils donnent à la bête laitière l’illusion du petit absent. Tandis que la vache lèche tendrement cette vaine dépouille, le laitier peut traire sans craindre les coups de corne ou de pied. Les jours