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tant il domine la voix de tous les autres vampires qui s’emparent de mon logis, dès que le soleil est couché. C’est l’heure où les mangoustes (Herpestes griseus E. Geoffr.) circulent librement dans les rues. Une famille de ces carnassiers vermiformes me fait parfois l’honneur de passer devant moi. A onze heures du soir, par les nuits sans lune, elle traverse la cour et se glisse sous la porte charretière qui donne sur une place déserte. Le mâle, la femelle, quatre petits progressant à la file, se suivent de si près qu’on croirait voir un seul animal à cent pieds courir sur le sol dont il aurait la couleur. L’apparition fantastique a la durée de l’éclair.

Dans ma chambre même, des crapauds sautillent lourdement et certains sont larges comme une soucoupe, ronds comme un ballon, surtout quand je les retrouve entassés, la panse pleine, tous, dans le même coin. C’est là que ces batraciens, dont la réunion simule une masse innommable, digèrent, jusqu’à l’heure du balayage, les insectes dont ils se sont gorgés, et luttent, par leur humidité commune, contre la sécheresse. Des grillons livides se hâtent sur la natte qui recouvre ! c carreau. Ils courent, bondissent, se glissent derrière les caisses et stridulent sur le mode aigu. Ils pénètrent dans les armoires les mieux closes et s’occupent en compagnie de jeunes cancrelats roux grivelés de jaune, et de lépismes brillant ainsi que des globules de mercure, à ronger l’empois du linge et l’encollage des papiers. Tous ces orthoptères sont les victimes habituelles de deux musaraignes (Crocidura murina et cœrulea). Les gracieux insectivores au nez pointu, à la fourrure veloutée, trottinent sur le sol et poussent des cris lamentables, comme s’ils se désolaient devant l’immensité de l’espace découvert qu’ils traversent. Souvent, prise de désespoir, une de ces musaraignes s’arrête brusquement sous le fauteuil où je lis. Et sa voix plaintive semble me prendre à témoin du danger où elle se trouve. Puis elle repart, et quand je l’ai perdue de vue, j’entends le bruit de ses mâchoires qui broient les tégumens cornés des insectes.

De ceux-ci la compagnie m’est fidèle tant que ma lampe est allumée. Des vol de termites s’abattent sur ma table. Les longues ailes transparentes ne tardent pas à couvrir mes papiers ; et les termites, devenus aptères, par un phénomène autotomique dont aucune patience n’a encore pu saisir le secret, courent çà et là. Des petits scarabées, des noctuelles, des bombyx