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des taches et des bandes brunes, il se confond merveilleusement avec la lèpre végétale qui couvre les tuiles. Aplati, en embuscade, dans son coin, il guette les mouches, les papillons, et les gobe quand leur mauvaise fortune les place à sa portée. En les avalant, il ferme ses yeux avec une mine recueillie et voluptueuse. Pour pacifique que soit ce Calotes, il n’aime point qu’on le trouble dans son industrie. Aussi pourchasse-t-il à son tour le rat palmiste impudent qui bat aussitôt en retraite et laisse tomber la graine qu’il venait de récolter, au passage, sur une touffe, et le Calotes se tapit, à nouveau, dans l’attente d’un insecte que guette un autre agame (Sitana ponticeriana Cuv.) plus petit, mais à livrée autrement brillante. Le sitane de Pondichéry ne dépasse point 20 centimètres. Il a les pattes longues, la queue fine et déliée comme une mèche de fouet ; son dos, sans crête, ses flancs olivâtres sont ornés de losanges verts et noirs. Le mâle se reconnaît à son magnifique fanon brillant des teintes les plus vives et les plus tranchées : bleu, noir, orangé, rouge. Ce reptile bariolé est très commun sur les murs de la ville, aussi bien que sur les rochers, et surtout parmi les ruines. Chasseur infatigable d’insectes, il court en plein soleil avec une grande rapidité. Mais sa timidité égale sa lestesse. Il décampe devant le rat palmiste, sans aucune honte, pour se réfugier dans un trou.

Le roi, le tyran des lieux habités, est le perchai (Nesokia bandicota Penn.). Perchai vient des deux mots tamouls périé grand ; tchali, rat. C’est en effet le plus grand des rats. De la pointe du museau à celle de la queue il mesure plus de deux pieds. Son échine est couverte de crins bruns, rudes, à demi dressés, ses moustaches sont énormes. Pullulant dans les magasins de riz mitoyens de l’hôtel Soupou, cet aimable compagnon me favorise de ses visites. Hier, encore, j’en ai effleuré un, de mon pied nu, dans la salle de bains primitive où j’ai la jouissance d’une cuve en bois oblongue en tout pareille à celles que l’on voit figurées dans les miniatures médiévales. Blotti contre le mur, ce rat, gros comme un chat, m’attendait sans peur. Voyant que mes intentions étaient pacifiques, il se lissa les moustaches avec ses pattes, et se retira à pas lents. A côté du Perchai tous les autres rats de l’Inde, tels que le Vandeleuria oleracca Penn., si commun ici, ne sont que des pygmées. La nuit, ses cris sauvages suffisent à interrompre mon sommeil,