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d’Espagne[1]. » Dans ces mémoires, il ne se borne pas à faire valoir de nouveau les argumens qui, à son sens, militent en faveur de la paix, et qui, assurément, n’étaient pas sans force ; il va au-devant de la difficulté qui en a empêché la conclusion et qu’il connaît bien : l’obligation que les alliés voulaient imposer à Louis XIV de porter les armés contre son petit-fils. Il convient que les « ennemis ne doivent point vouloir réduire le Roi à faire la guerre à son petit-fils ; c’est plutôt vouloir le déshonorer qu’exiger de lui une sûreté effective. » Mais il suggère un expédient. Ce serait que le Roi envoyât une armée en Espagne, pour enlever, malgré lui, Philippe V et le garantir ainsi d’une captivité honteuse. « On me répondra, dit-il, que le Roi, en ce cas, détrôneroit son petit-fils de ses propres mains ; mais je réponds qu’il lui seroit bien moins triste et moins honteux de le détrôner lui-même que de le voir détrôner sous ses yeux par ses ennemis. »

Il revient, à plusieurs reprises, dans ces deux mémoires sur cette proposition singulière, et il s’indigne même à l’avance contre ceux qui pourraient y opposer quelque objection. « Que ceux, s’écrie-t-il, qui disent qu’on relâche trop pour la paix viennent au plus tôt relever la guerre et les finances. Sinon, qu’ils se taisent et qu’ils ne s’obstinent pas à vouloir qu’on hasarde de perdre la France pour l’Espagne. » Dans son ardeur pacifique, il va jusqu’à craindre des succès qui ne feraient que flatter de vaines espérances et prolonger la maladie. « Je ne puis, ajoute-t-il, souhaiter qu’une paix qui nous sauve avec une humiliation dont je demande à Dieu un saint usage. Il n’y a que l’humilité et l’aveu de l’abus de la prospérité qui puisse apaiser Dieu. »

Mme de Maintenon, de nouveau, se montrait ardente pour la paix. Bien qu’elle répète encore dans ses lettres à la princesse des Ursins qu’elle n’est qu’une particulière très peu importante, qu’elle ne sait point les affaires, qu’elle ne veut point s’en mêler (et d’ailleurs on ne veut point qu’elle s’en mêle), cependant ces mêmes lettres[2]laissent apercevoir sa pensée véritable qui est d’abandonner l’Espagne, car elle reproche à la princesse des Ursins « que la passion qu’elle a pour le Roi et la Reine

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 159 et 164.
  2. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, t. II, p. 232 et passim