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amoureux qui l’entraîne s’exprime par sa danse grave, molle et discrètement sensuelle. A mesure que l’ardeur la gagne, elle s’avance par bonds plus légers, puis elle recule, offrant sa poitrine en fleur, et ses bras étendus palpitent comme des ailes d’oiseau. Leurs imperceptibles battemens règlent ses moindres mouvemens. Elle bondit avec une telle souplesse qu’on croirait qu’elle va s’envoler, l’on s’étonne que sur ses épaules, au modelé pur et moelleux, ne soient point greffées des ailes.

Dans cette fuite en arrière, l’air s’engouffrant dans la retombée des pagnes les fait s’épanouir ainsi qu’un éventail qui s’ouvre. Et quand la danseuse revient en avant, les plis se referment, comme par le jeu de quelque ressort mystérieux.

Mais l’amour des dieux est inconstant et fugace, Krishna a trompé toutes les femmes, même sa favorite Radah. L’amante abandonnée s’arrête, tord ses bras, chancelle. Ses traits décomposés crient la douleur sous laquelle elle succombe, jusqu’à ce que, se laissant aller à la renverse, elle nous donne, ployée en arc, l’illusion que sa nuque où brille un modillon d’or, rejoint les crotales qui sonnent à ses talons.

Elle s’est redressée soudain. Sur son visage convulsé par la colère, on croit voir couler des larmes. Ses yeux flamboient, à faire pâlir les feux que jettent les saphirs de son bandeau. Elle objurgue, conjure, menace ; mais ce n’est que pour mieux affirmer sa soumission. Les plaintes les plus douces se pressent sur ses lèvres avides, où la haine ne peut remplacer l’amour.

Tous, maintenant, elle nous prend à témoin de sa disgrâce. Mieux encore, elle tente de nous séduire, et s’adresse successivement à chacun. Ses regards enflammés, son sein superbe qui s’enfle au gré de ses soupirs, ses bras qui s’ouvrent pour affirmer l’offre et retombent pour annoncer l’abandon, ses lèvres qui murmurent des promesses calculées, sont bien ceux de ces filles de Mara qui entourent de leurs pièges les Vanaprastas, ascètes réputés du désert.

La voici qui s’en prend à moi, et un dialogue s’établit entre nous, — à cela près toutefois que je joue un personnage muet, condamné par l’étiquette à demeurer impassible. La tentation de saint Antoine ne fut rien, en vérité, je vous le dis en confidence, au prix de l’assaut que je subis en cette soirée. Cet assaut fut heureusement bref et ma victoire sur cette beauté artificieuse fut petite. Continuant de jouer son rôle avec le plus parfait