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c’est par raison que le citoyen-plaideur et le citoyen-malade choisiront leur avocat ou leur médecin. Et ce sont aussi des mobiles raisonnables qui feront estimer et repu ter tels ou tels peintres, architectes, écrivains, professeurs ou artistes dramatiques.

Exercer une profession dite « libérale, » être médecin, avocat, artiste, homme de lettres ou même officier ministériel, c’est se livrera une industrie dont les produits sont purement intellectuels, puisque l’on tire ici toute la matière de son cerveau. Il est clair qu’il faut un peu plus de génie pour écrire un drame que pour grossoyer des conclusions ; mais, dans les deux cas, c’est le travail de l’auteur qui constitue l’unique valeur de l’ouvrage ; c’est l’effort et la peine que l’un vend et que l’autre acheté, et, par là, l’individu a donné aux professions libérales ressemble aux employés.

Il ressemble aux industriels et commerçans en ceci : qu’il fait valoir en « actionnaire de la vie » son capital-humain, sujet comme tel à plus de chances bonnes ou mauvaises que celui du capitaliste à traitement fixe, du fonctionnaire petit ou grand. Dans les entreprises innombrables que le siècle dernier vit éclore, l’« employé » n’a pas eu sa part des succès éclatans : des distilleries comme la Bénédictine, qui partit de 2 millions pour arriver à 31 ; ni des compagnies d’assurances comme la Générale, qui, de 5 millions — incendie et vie réunis — monta à 187 millions ; ni des charbonnages qui débutèrent à 6, 3 ou 1 million, comme Courrières, Bruay ou Lens, pour atteindre 170, 207 ou 230 millions ; ni d’aucune autre de ces affaires heureuses qui servent d’appâts au capital coureur d’aventures et d’exemples aux ennemis du capital, pour flétrir son avidité.

Mais cet « employé » n’a pas été atteint dans son budget, dans ses économies, par le désastre des valeurs mortes, mourantes et avariées, dont les unes disparaissent de la cote après faillite ou liquidation, dont les autres continuent d’y figurer avec un dividende rongé ou spasmodique. Telles sont des douzaines de compagnies de traction, de gaz, d’électricité, d’armement, de navigation, d’imprimerie, de verrerie, de brasserie, d’assurances, de produits chimiques et autres, dont le capital s’est évaporé.

S’il est permis d’avancer, après une étude attentive, que, pour l’industrie et le commerce pris en bloc depuis cinquante ans, du moins pour cette portion connue des affaires, qui ont été