Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au bien de son État. Il est constant que les propositions des ennemis sont pleines d’un orgueil excité par les succès qu’ils ont eus dans le cours de cette guerre ; mais quoiqu’elles ayent été rejettées présentement, il ne faut pas compter (à moins qu’il n’arrivast des coups de la main de Dieu seul), il ne faut pas compter, dis-je, que nous en soyons jamais quittes à beaucoup meilleur marché. Je me flatte que vous ne me croyez pas capable d’oublier jamais l’amitié étroitte qui nous a liés pendant notre enfance et qui me fait pleurer si tendrement notre séparation ; c’est cette mesme amitié qui me fait sentir maintenant combien il m’est pénible d’estre frère et François en mesme temps, et que nos malheurs aient été jusqu’au point de désunir en partie ces deux qualités. Mais ils ne désuniront jamais nos cœurs, et la tendresse du mien pour vous sera toujours telle, mon très cher frère, qu’elle doit estre et que vous pouvez désirer[1]. »

Comme on le voit par ces lettres, c’était principalement sur la question de l’aide jusque-là prêtée par la France à l’Espagne que la négociation avait échoué. Non seulement les alliés exigeaient que Louis XIV abandonnât Philippe V, et Louis XIV y avait un moment consenti, mais ils avaient la prétention odieuse de le contraindre à tourner ses armes contre son petit-fils, si, dans le délai de deux mois, celui-ci n’abandonnait pas l’Espagne. La fierté et la résolution dont le jeune Roi avait jusque-là fait preuve ne laissaient point douter qu’il ne s’y refusât absolument. Ces sentimens avaient, en eux-mêmes, l’approbation du Duc de Bourgogne : « Un prince du sang de France, lui écrivait-il encore, n’en doit ou n’en peut avoir d’autres. » Mais on comprend aussi, quels devaient être, en présence d’une question ainsi posée, ses sentimens à lui-même et la douleur qu’il éprouvait de ne pouvoir concilier comme il le lui écrivait, ses deux qualités de Français et de frère. Malheureusement la même question devait se poser encore l’année suivante, et d’une façon encore plus cruelle.

Si la sanglante bataille de Malplaquet, livrée le 11 septembre 1709, n’avait pas été une victoire, elle avait cependant, par les pertes considérables infligées aux ennemis, arrêté leur marche en avant. Mais la campagne de 1710 s’annonçait sous les

  1. Archives d’Alcala. Lettres des 3, 24 et 26 juin communiquées par l’abbé Baudrillart qui en a publié déjà quelques fragmens dans son très remarquable ouvrage sur Philippe V et la Cour de France.