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pour luy, connoissant le fonds de son cœur, et que ce n’est que par force majeure qu’il ne peut continuer à vous donner les secours dont il vous a aidé jusqu’à présent. Je n’escris point à la Reine dans une si triste conjoncture, et j’attends celle de son accouchement pour l’en féliciter et luy renouveler les témoignages de ma véritable amitié ; faittes luy toujours mes complimens, je vous en supplie, et soyez persuadé, mon très cher frère, que ma tendresse durera autant que ma vie, m’estimant bien malheureux que l’état de la France m’ait obligé de penser autrement que ne l’auroit voulu mon cœur sur ce qui peut estre à votre satisfaction en un sens, je veux dire la soustraction de secours de la part du Roy. Encore un coup je vous embrasse, mon très cher frère, et vous aime plus que je ne puis l’exprimer. »


Quelques semaines plus tard, il renouvelait à son frère l’expression de sa tendresse :

« Pensez-vous en vérité que, dans les maux qui nous pressent, j’oublie aussi ceux qui vous menacent, et pourriez-vous soupçonner que l’absence eût diminué en moy la tendresse que j’ai toujours eue pour vous ? Je vous puis assurer qu’elle se fait bien sentir présentement, et que je suis toujours touché, comme je le doys, et des succès, et des malheurs qui vous arrivent. Je suis aussi un témoin fidèle de celle que le Roy a pour vous, sûr qu’il sacrifieroit encore une partie de ses conquestes, et peut-être qu’il les sacrifieroit toutes pour mettre vos intérests en sûreté et vous conserver la courone que Dieu vous a donnée. Vos reproches pleins de tendresse ont réveillé la mienne, et j’espère être plus régulier à vous en donner des marques à l’avenir. Adieu, mon très cher frère ; Dieu fera tout ce qu’il voudra, et sa volonté seule est à quoi nous devons nous attacher, mais il est selon cette mesme volonté que je vous aime aussi tendrement que je le fais, et sente aussi vivement tout ce qui vous regarde. »


Aussi était-il heureux, quelques jours après, de lui faire part d’une meilleure nouvelle :

« Depuis la lettre que je vous ai écritte avant-hier, mon très cher frère, le Roy, changeant de sentimens, s’est rendu à vos remontrances et vous laisse encore pour quelque temps une partie des troupes qu’il a en Espagne. Vous verrez au moins par là qu’il donne à la tendresse tout ce qui ne préjudicie point directement