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REVUE DES DEUX MONDES.

quelque peu factices, ne sévit pas en maîtresse, là le problème social n’a pas encore accaparé les cerveaux humains au point de leur faire oublier tout le reste.

Là, l’héritage vieilli des habitudes byzantines, cultivant les querelles sociales après les querelles religieuses, et venant s’unir à la misère et à l’alcoolisme, n’a pas poussé les hommes à ne plus voir que des intérêts momentanés et à se déchirer entre eux, en perdant de vue le monde extérieur et la Nature, la grande consolatrice, la grande ennemie peut-être, mais la mère en même temps, dont les merveilleux secrets sont inépuisables, dont les lois sont éternelles et dont la connaissance ou l’étude fait planer ses adeptes si haut par-dessus tous les vices et toutes les intrigues des hommes et des sectes. À un moindre niveau, sa contemplation ou simplement son contact assidus, même sous forme de lutte, suffisent à vivifier et à satisfaire les esprits les plus humbles, comme les plus exigeans.

Là-bas, dans le Nord, dans des contrées pourtant bien déshéritées, loin des villes et de ces universités, détournées de leur but pour devenir des pépinières de politiciens aveugles et de mécontens professionnels, il y a encore, tout comme dans les campagnes de maints autres pays, des naïfs, ignorans — peut-être ? — contens et résignés, qui acceptent les rigueurs de la création ambiante, qui en admirent même les lois, — et qui n’en sont pas plus malheureux. Pour eux, il y a encore des légendes. Et dans ces légendes, il y a des enseignemens, des souvenirs ou des superstitions, — comme on voudra, — mais des choses auxquelles on croit, ce qui est le caractère des vraies légendes.

Et celle-ci en est une.

Chez ces populations si pauvres et si mal partagées, existent encore des croyances anciennes et naïves, reposant sur un profond sentiment de la Nature, et sur un pressentiment d’art, de foi, et même sur une sorte de science instinctive, qui, plus au Sud, ont disparu devant l’hypertrophie du socialisme et devant son exclusivisme.


Édouard Blanc.