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REVUE DES DEUX MONDES.

Wassilissa se remit à courir, et, dès qu’elle fut hors de vue de l’isba, elle voulut jeter le crâne, qui lui faisait peur. Mais une voix sourde en sortit :

— Ne me jette pas. Et porte-moi dans ta maison : tu t’en trouveras bien.

La jeune fille continua sa route, portant la tête de mort qui l’éclairait à travers la forêt, et qui ne s’éteignit que lorsqu’il fit jour.

Toute la journée encore elle marcha à travers les bois. La nuit tombait lorsqu’elle arriva au village, et, à mesure que l’obscurité venait, la tête redevenait lumineuse.

Quand elle arriva près de la maison, il faisait déjà nuit noire. Elle fut très étonnée de n’y voir aucune lumière.

Ayant ouvert la porte, elle trouva sa belle-mère et ses sœurs, et, pour la première fois, on l’accueillit aimablement. On lui dit que l’on espérait que le feu qu’elle apportait pourrait brûler dans l’habitation. Depuis son départ, on n’avait pu y avoir ni feu, ni lumière. Le briquet refusait de donner des étincelles et le feu qu’on apportait de chez les voisins s’éteignait aussitôt.

Dans la maison comme au dehors, le crâne continua à projeter par ses orbites une lueur ardente. La belle-mère et ses filles voulurent y allumer des tisons. Mais elles ne purent y parvenir. Les yeux du crâne les regardaient et les brûlaient. Wassilissa seule ne ressentait aucune brûlure.

La belle-mère et ses filles eurent peur et voulurent se sauver. Mais les yeux du crâne les suivaient partout de leur regard, de la cave au grenier, et les brûlaient jusqu’aux os. Au matin, elles étaient complètement calcinées et changées en charbon.

Wassilissa ferma la porte de la maison, enterra le crâne dans le jardin et alla demander l’hospitalité à une vieille femme du pays, qui demeurait seule non loin de là. Cette vieille femme l’accueillit bien et la traita comme sa fille. Wassilissa resta chez elle tout l’hiver.

Au printemps suivant, en passant près de la maison, Wassilissa vit qu’à l’endroit où elle avait enterré le crâne, avait poussé une énorme touffe de lin. Ce lin était si beau qu’elle ne put s’empêcher de l’admirer.

Le soir, elle dit à la vieille femme :

— Il faut m’acheter un fuseau. Je voudrais filer.

Le lendemain, elle alla couper le lin, le prépara avec soin, et, dès qu’il fut prêt, elle commença à filer.