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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

« Ceux qui apprennent trop vieillissent vite. » Maintenant, dis ce que tu veux.

— En venant ici, dans la forêt, reprit la jeune fille, j’ai rencontré un cavalier blanc, vêtu d’une armure blanche, monté sur un cheval blanc. Qui était-il ?

— C’est mon Matin clair, répondit la vieille.

— Un peu plus loin, toujours dans la forêt, j’ai rencontré un autre cavalier, rouge celui-là, vêtu de rouge, montant un cheval rouge.

— C’est mon Soleil rouge[1].

— Enfin, en arrivant ici, j’ai vu un cavalier noir, vêtu de noir, sur un cheval noir.

— C’est ma Nuit sombre.

Wassilissa pensa aussitôt aux trois paires de mains qu’elle avait vues apparaître.

— Que veux-tu savoir encore ?

— C’est tout, dit la jeune fille.

— Très bien. La poussière du dehors, ne doit pas se mélanger avec celle de l’intérieur de mon isba. À mon tour, maintenant, dit la Baba-Yagha, de te poser une question. Comment as-tu pu trouver le temps, hier comme aujourd’hui, de faire tout l’ouvrage que je t’ai imposé ?

— La bénédiction de ma mère, qu’elle m’a donnée en mourant, m’y a aidée, répondit Wassilissa.

— Ah ! c’est comme cela ? Eh bien, va-t’en, fille bénie, s’écria la sorcière. Retourne chez toi. Je n’aime pas les gens bénis !

Elle la poussa dehors par les épaules. Wassilissa se mit à courir. Mais la sorcière la rappela :

— Attends donc. Voici le feu que tu es venue chercher. Porte-le dans ta maison.

Elle prit un des crânes sur la haie, et, y enfonçant un bâton dans le trou inférieur, elle mit ce bâton dans la main de Wassilissa.

  1. En Russie, le soleil est toujours qualifié de rouge. L’origine de cette épithète peut être discutée. Mais on peut remarquer que, dans les pays de l’Extrême-Nord où le soleil, lorsqu’il paraît, s’élève très peu au-dessus de l’horizon, et met longtemps à monter progressivement par une ascension oblique, l’astre conserve longtemps l’aspect spécial et la couleur pourprée qu’il a parfois, pendant quelques instans seulement, à l’aurore et au crépuscule, dans les pays tempérés. On explique généralement ce phénomène en disant que la grande épaisseur d’atmosphère traversée ne laisse arriver à l’œil des observateurs que les rayons les plus réfrangibles, qui sont les rayons rouges du spectre, et fait, dévier, les autres.