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REVUE DES DEUX MONDES.

— C’est bien. Je les connais. Entre dans ma maison et travaille pour moi. Si tu travailles bien à ce que je te dirai, je te donnerai du feu. Et sinon, je te mangerai.

La sorcière siffla. Le pilon, le mortier et le balai s’éloignèrent au galop. Puis elle cria, d’une voix qui fit trembler le sol :

— Mes fortes serrures, mes larges portes, ouvrez-vous.

La porte de la clôture s’ouvrit toute grande et la sorcière entra, suivie de Wassilissa.

La sorcière lui dit :

— Va dans la cuisine et allume le feu.

Wassilissa prit au mur une torche qu’elle alluma en rapprochant de l’un des crânes du jardin, et prépara le feu.

— Vois dans le poêle ce qu’il y a à manger et apporte-le-moi, dit alors la Baba-Yagha.

Wassilissa regarda dans le poêle. Il y avait des provisions pour vingt personnes. Wassilissa les prit, fit chauffer ce qu’il fallait mettre au feu et apporta le tout à la vieille. Mais elle se tint immobile derrière celle-ci pendant le repas, sans oser lui parler, par crainte.

La vieille mangea tout. Elle but également un grand pot de kwass qui aurait pu désaltérer toute une troupe d’hommes. Puis elle donna à Wassilissa un peu de chtchi[1] et de pain noir avec du porc, et elle lui dit :

— Va te coucher là-haut. Et ne t’occupe pas de ce qui se passe en bas. Demain tu balayeras partout, tu feras le ménage, tu nettoieras la maison entière, tu donneras à manger aux poules et à toutes les bêtes. Tu iras chercher de l’eau, tu prépareras le feu, tu arroseras le jardin. Puis tu iras à la huche, tu y prendras dix boisseaux[2] de seigle qui s’y trouvent, et tu en retireras tous les petits grains noirs qui y sont mélangés. Il faut que tout soit fini pour le soir, lorsque je rentrerai. Et si tu n’as pas fini, je te mangerai.

Wassilissa monta dans la soupente qui lui était indiquée, et bientôt elle entendit la vieille ronfler à faire trembler le plancher.

Elle tira alors de sa poche la poupée, et, mettant devant

  1. Chtchi, sorte de soupe aux choux, que l’on mange dans la plus grande partie de la Russie.
  2. Un tchelwerk, mot à mot un quart. Cette mesure, considérable, représente le quart de la graine nécessaire pour ensemencer une surface déterminée et assez grande.