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lumière, qui filtraient à travers la cime opaque des arbres noirs.

Et les oiseaux chantaient à pleine gorge, et les fleurs exhalaient, jusqu’à en mourir, tous les parfums de leur cœur.

Et il faisait grand jour.

Quand le cavalier se fut éloigné, Wassilissa vit que, là où il avait passé, les brins d’herbe étaient brûlés et les fleurs desséchées.

Sans rencontrer personne, elle marcha encore toute la journée. La faim et la soif la tourmentaient. Elle but de l’eau des sources dans les creux de rochers, et mangea des airelles, des mûres et des pommes sauvages que la poupée lui avait fait connaître auparavant. Vers le soir, sans s’être arrêtée, elle arriva près de la maison de la Baba-Yagha, qui se dressait dans une clairière, au milieu d’un enclos entourant un jardin.

Oh ! oh ! c’était une singulière maison que l’isba de la sorcière, et c’était un singulier jardin que celui-là. La petite maison de bois avait de loin l’air d’une isba de paysans aisés, au milieu d’un fouillis de grandes plantes échevelées, mais de près tous les détails de sa construction paraissaient macabres et effrayans. Les alentours étaient jonchés d’ossemens, les uns blancs comme de l’ivoire, les autres récemment rongés. Les montans de la porte, ainsi que les barreaux de la grille d’entrée du jardin, étaient faits de tibias et de fémurs, et, comme serrure, une mâchoire humaine grimaçait. Sur la haie, tout autour du jardin, il y avait des crânes humains, emmanchés aux pieux de la clôture, et, dans le jardin, il y en avait d’autres sur les tuteurs des plantes, ou disséminés çà et là, comme des pavots sur leurs tiges.

Comme elle approchait de la maison, Wassilissa vit venir, à travers bois, un troisième cavalier.

Ce troisième cavalier était vêtu de noir, son armure était noire. Son cheval, entièrement noir, dont les yeux hagards et lumineux étaient pareils à deux étoiles, avait aux jambes de longs crins traînans, et marchait la tête basse et tendue en avant, foulant sans bruit le tapis de la forêt, sur lequel il semblait glisser. De ses naseaux sortait comme une brume flottante, qui se condensait derrière lui en traînée de brouillard sur le sol. Et, sur son passage, les pierres et les herbes se couvraient de rosée.

Le cavalier avait la tête baissée. Sous son casque d’acier bruni on apercevait à peine sa figure pâle, glabre et morne, aux traits impassibles.